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Mon
arrière-grand-oncle
Les petites histoires de guerre que je relate sur ce site sont gentillettes
et j'ai pensé qu'il était important que je rajoute une histoire dramatique
afin que l'on ne perde pas de vue la dimension horrible et cruelle de la
guerre.
Mon arrière-grand-mère a perdu 2 frères pendant la première guerre mondiale.
Elle m'a raconté comment cela s'est passé pour l'un de ses frères : Il était
revenu à la maison pour deux semaines de permission. Il était tellement
déprimé et traumatisé par les horreurs de la guerre qu’il a passé ses deux
semaines de permission enfermé dans sa chambre à pleurer 24 heures sur 24
allongé sur son lit.
Mon arrière-grand-mère venait lui apporter ses repas dans sa chambre. Il
refusait d’ouvrir la porte et elle posait l’assiette dans le couloir. Elle
repassait un peu plus tard pour récupérer l’assiette vide et la porter dans
l’évier de la cuisine.
On imagine difficilement la souffrance de cet homme, le désarroi de sa
famille, le choc pour mon arrière-grand-mère éperdument amoureuse de son
fiancé qui était sur le front.
Lorsque le jour est venu de rejoindre le front, il a informé ses parents
qu’il allait rester à la maison. Mes arrières-arrières-grands-parents
étaient désespérés et lui ont rappelé que les déserteurs étaient recherchés
par la gendarmerie, condamnés à mort et fusillés. Ce à quoi il répondit que
cela ne changerait rien car il allait mourir de toutes façons et que mourir
lors d’une exécution était plus propre et rapide que d’agoniser sur un champ
de bataille. Qu’est-ce que ses parents pouvaient bien répondre à cela ? Ils ont
finalement pu le ramener à la raison et il a pris le chemin de la gare en
sanglotant. Une heure plus tard, il réapparaissait devant la maison
familiale, affirmant de nouveau qu’il préférait le peloton d’exécution. Ses
parents ont réussi une nouvelle fois à le raisonner. Il reparti en direction
de la gare et s’est fait tuer quelques jours plus tard. Mon
arrière-grand-mère ignorait les circonstances exactes de sa mort. Il est
fort possible qu’il se soit suicidé en s’exposant délibérément au feu de
l’ennemi.
Lorsqu’on fait le bilan d’une guerre, on comptabilise généralement le nombre
de tués. Parfois on compte le nombre de blessés. On ne compte jamais le
nombre de veuves, d’orphelins, de parents, de frères et de sœurs éplorés, de
fiancées devenues veuves avant même d’avoir eu le temps de se marier. On ne
compte pas non plus le nombre de soldats revenus physiquement indemnes mais
profondément blessés sur le plan psychologique. 1 400 000 français ont perdu
la vie pendant la première guerre mondiale. Combien de vies brisées ? 10
millions ? 15 millions ? 20 millions ?
Mon arrière-grand-père, Charles Gény; photo prise en 1907 pendant son
service militaire dans le 2ème Régiment de Cuirassiers - Photo
collection Seconde-Guerre-Mondiale.com
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