"Mon avion a été abattu le 7 juillet alors que
j’étais en mission dans la région de la Loire. Nous avions déjà mitraillé
quatre trains. Nous nous trouvions à environ 30 km au nord-ouest d’Orléans
et nous étions en train d’attaquer un cinquième train lorsque nous avons
essuyé des tirs de DCA. Le cockpit a été touché et j’ai reçu des fragments
de balles explosives. Le moteur droit avait été touché et l’avion a pris
feu. Je me suis éloigné aussi vite que j’ai pu en volant en rase-mottes et
en cherchant un endroit où je pouvais effectuer un atterrissage d’urgence.
J’ai atterri dans un champ labouré et par chance je n’ai pas été blessé
malgré le fait que c’était un atterrissage très brutal. J’ai couru vers les
bois dès que j’ai pu me débarrasser de mon parachute. Il y avait des paysans
à l’autre bout du champ qui gesticulaient et marchaient vers moi mais je me
souviens qu’on m’avait enseigné de ne pas demander de l’aide à un groupe de
français. J’ai donc décidé de m’éloigner. Pendant ce temps, le reste de
l’escadrille volait au-dessus de moi me donnant ainsi une couverture
aérienne.
Après m’être caché dans les bois pendant une heure et avoir enterré ma tenue
d’aviateur et mes gants, un jeune français m’a découvert. Je lui ai dit que
je voulais des vêtements civils et il est reparti en me promettant de
revenir une demi-heure plus tard. Une heure et demie plus tard il n’était
pas encore revenu et comme il commençait à faire nuit, je suis parti
chercher une autre cachette dans les bois un kilomètre et demi plus loin. Je
suis resté là toute la nuit.
Le lendemain matin, je suis parti de bonne heure et j’ai marché en direction
de l’ouest. J’ai abordé un paysan et il m’a donné à manger. Il m’a donné des
vêtements civils et m’a proposé de me mettre en rapport avec la résistance.
Le chef local s’est occupé de moi pendant les 4 jours qui ont suivi. Je
changeais de place tous les jours et je passais la nuit dans des granges ou
des champs et des résistants m’apportaient à manger. J’étais bien nourri et
les français m’ont dit qu’ils avaient envoyé un message à Londres et qu’ils
avaient ainsi pu vérifier mon identité.
Ces gens étaient bien organisés. Ils avaient un grand nombre de fusils Stens
et de munitions ainsi qu’une radio britannique. Plusieurs parachutages
avaient eu lieu dans la région (près de Châteaudun). Ils m’ont dit qu’un
grand camp avait été mis en place non loin de là pour les militaires alliés
en cavale et qu’on allait m’y emmener dès que l’un des responsables serait
venu me voir.
Le 15, un agent est venu jusqu’à la ferme où je me trouvais avec quelques
belges et il m’a dit de venir avec lui. Nous avons marché jusqu’au camp près
de Châteaudun. Seul le chef de la résistance connait précisément l’existence
de ce camp.
La discipline ne paraissait pas très bonne. Malgré ses efforts, l’officier
britannique ne semblait pas capable de contrôler le groupe. Beaucoup se
saoulaient tous les soirs avec du calvados ou du cognac et certains
s’aventuraient dans les fermes et les villes situées à proximité de la forêt
de Fréteval. L’agent en charge du camp faisait trop de promesses intenables.
Je ne pense pas qu’il ait déjà fait ce genre de travail et il était
incapable de comprendre la psychologie d’un groupe d’hommes vivant ensemble
dans de telles conditions. J’ai par la suite été transféré dans l’autre
partie du camp, là où la plupart des américains se trouvaient et l’état
d’esprit était meilleur. Ils avaient mis place un parcours de minigolf et
leur camp était nettement plus confortable.
J’ai été transféré dans la partie « américaine » du camp et étant l’officier
le plus gradé, j’ai été en charge du camp jusqu’à notre départ le 13 août.
Avant cela, le camp était géré par le Lt Di Betta et un agent belge qui se
faisait appelé John – nous n’avons jamais su son nom de famille mais son
code radio était OEB. John était vraiment excellent. C’est grâce à lui que
le plan a marché. Il a mené les hommes pendant 9 semaines en donnant
l’exemple et il a fait preuve d’une bonne compréhension de leurs besoins et
de leurs personnalités. Il vivait en permanence avec eux, contrairement à
l’autre belge qui nous donnait de l’argent. J’espère qu’il sera
convenablement récompensé.
A un moment, un mitrailleur américain prénommé Craig a eu une crise
d’appendicite pendant que nous étions dans le camp. John le belge l’a emmené
voir un médecin français qui travaillait pour la résistance et s’est arrangé
pour qu’il soit admis à l’hôpital en le faisant passer pour un français.
John a marché 25 kilomètres sous la pluie pour faire les arrangements
nécessaires.
Il n’avait peur de rien et partait voir sur le terrain lorsque les allemands
étaient à proximité. Un jour il a été arrêté par les allemands mais ils
l’ont laissé filer après qu’il ait affirmé être un travailleur belge qui
travaillait dans la ville voisine. Il s’assurait de la sécurité et ce
n’était pas une mince affaire étant donné que les allemands avaient un dépôt
de munitions à 400 mètres de là. Jean Crequet a aussi accompli un travail
formidable en nous approvisionnant en nourriture et il servait d’officier de
liaison entre les deux parties du camp.
Vers la fin de notre séjour dans le camp, un autre agent prénommé Louis est
venu. Il travaillait avec John mais il est probable que lui aussi se
cachait. Il établissait le contact pour nous avec les français autour du
camp et nous a dit qu’il avait reçu pour instruction de nous évacuer vers la
péninsule de Brest.
Le Lieutenant Wiseman et Salomon (aussi appelé « Le grec ») ont quitté le
camp avant que nous soyons libéré par l’armée américaine. Ils espéraient
rejoindre la Suisse mais ils sont maintenant probablement avec le maquis
quelque part en Savoie.
Les allemands savaient qu’il y avait beaucoup de gens qui se cachaient dans
la forêt mais ils croyaient qu’il s’agissait uniquement de maquisard ou des
français qui voulaient échapper au STO. En fait la plupart des maquisards ne
savaient pas ce qui se passait. Un parachutage de nourriture pour nous et
d’armes pour le maquis a été saisi par les allemands mais je crois que les
allemands pensaient que c’était pour le maquis.
Un jour, un homme s’est aventuré dans la forêt et a été appréhendé par nos
gardes. Il s’est avéré que c’était un russe ou un géorgien qui avait déserté
l’armée allemande. Nous devions le garder comme prisonnier de peur qu’il ne
parle. Il parlait un peu le français et aucune autre langue que nous
puissions comprendre. Son nom est Killadze. Nous l’avons remis au CIC dans
le PWE où nous avons été interrogés par le I.S.9 (WEA). Je crois qu’il est
inoffensif et j’espère qu’il est bien traité.
Lorsqu’a commencé l’attaque américaine en Normandie, les allemands ont cessé
de poser un problème. Nous recevions des nouvelles de Londres tous les jours
et nous commencions à espérer être bientôt libérés. Certains hommes étaient
sous pression et ne pouvaient plus attendre. Nous avons dû garder le camp et
nous assurer que personne ne le quitte. Il était difficile de faire du sport
et nous ne pouvions par parler trop fort. Les rations alimentaires étaient
insuffisantes et pas très variées. C’était naturellement un grand
soulagement lorsque l’agent chef de l’autre camp est venu nous dire le 12
août que des unités de l’armée américaine étaient au Mans et que nous
serions bientôt contactés et évacués. Nous avons ramassé nos affaires et
nous avons attendu mais ce n’est que le lendemain soir vers 17.00 qu’une
troupe de reconnaissance de la 818th TD est venu avec leurs véhicules
blindés. Ils nous ont amené au 5th Division HQ, et de là nous avons été
emmenés au Mans où nous avons rencontré le Major Neave et d’autres
responsables de cette opération." |