1670 juifs déportés à l'ile
Maurice pendant la seconde guerre mondiale
En 1940, 1670
réfugiés juifs qui fuyaient les nazis sont arrivés
en Palestine qui se trouvait alors sous mandat
britannique. Les autorités britanniques craignaient
que l'arrivée d'un grand nombre de juifs déstabilise
la Palestine et ils redoutaient également que des
agents allemands ne soient infiltrés parmi les
réfugiés. Les réfugiés se sont vu refusé le droit
d'asile et ont été déporté vers l'ile Maurice.
Ils ont été
détenu jusqu'à la fin de la guerre à la prison de
Beau-Bassin. Les conditions de détention été
relativement difficile. Les hommes et les femmes
étaient détenus dans deux sections séparées de la
prison et ne pouvaient pas se voir librement. La
situation sanitaire était précaire et les détenus
souffraient du climat tropical, entrainant le décès
de plusieurs réfugiés. En 1945, alors que la guerre
tirait à sa fin, les détenus ont été informés qu'ils
auraient le droit de s'établir en Palestine. Ils ont
quitté l'ile Maurice le 11 août 1945 et sont arrivés
à Haïfa le 26 août 1945.
Le Dr Shun Shin m'avait parlé de
cette triste histoire. Il avait été affecté à la prison
de Beau-Bassin peu après l'arrivée
des détenus juifs. Ils m'avait raconté comment il
travaillait jour et nuit pour soigner les réfugiés
qui souffraient de typhoïde, de dysenterie et autre
maladies. Voici la traduction d'un extrait de son
autobiographie ("Memoirs
of a government Medical Officer"):
"Le 26 décembre 1939, plus de 1000 juifs sont arrivés
ici à bord de deux bateaux en provenance de
Palestine and ont été immédiatement transférés à la
prison de Beau-Bassin où ils ont été détenus jusqu'à
la fin de la second guerre mondiale. Ces juifs
venaient des pays d'Europe centrales qui avaient
envahis par les armées hitlériennes. Ils avaient
essayé d'entrer en Palestine mais ils n'avaient pas
de visas, et les autorités britanniques ont décidé
de les envoyer dans notre île. Ces pauvres juifs
pensaient que Maurice était aussi arriérée que
l'Afrique et ils ont tenté de s'opposer à leur
déportation d'une manière originale: les jeunes,
les garçons comme les filles, se sont déshabillés et se
sont allongés nus sur le quai. Les autorités ont
utilisé des lances à eau et les ont ainsi contraint
à monter à bord des bateaux laissant leurs habits
sur le quai. Lors du voyage vers Maurice, les
vêtements ont été restitués à leurs propriétaires un
peu à la manière d'une vente aux enchères mais
certains n'ont pas pu récupérer leurs habits et sont
arrivés nus à Maurice probablement enveloppés dans
des couvertures. Ils étaient affamés et étaient
affecté par des épidémies de dysenterie et de
typhoïde.
Les hommes ont été logés dans
les bâtiments de la prison et les femmes ont été
logée dans des baraques en tôle ondulées qui ont
été construites rapidement à proximité. Ils étaient
accompagnés par des policiers et policières
britanniques appartenant à la police palestinienne
mais ici ils ont été placés sous le commandement du
superintendant Armstrong de la police locale, qui
était connu comme le commandant du camp des détenus
juifs. Des gardes des deux sexes ont été recrutés
localement, ainsi que quelques sepoys pour aider à
maintenir l'ordre. La vieille chapelle de la prison
a été transformée en hôpital pour les hommes
quelques baraques supplémentaires ont été
construite pour recevoir un plus grand nombre de
patients.
Le
pays n'était pas prêt à accueillir un si grand
nombre de personnes et il y avait un manque
généralisé en terme d'hébergement, de lits, d'habits
et d'ustensiles. Philippe de Spéville étant
l'officier médical de la prison est automatiquement
devenu l'officier médical en charge de l'hôpital du
camp mais ne pouvait pas consacrer plus d'une heure
à cette fonction. L'état déplorable des conditions
de vie dans le camp a alarmé deux députés: Rivet et
Laurent sont intervenus et ont obtenu la permission
de visiter le camp. Une motion critique a ensuite
été débattue un mardi au Council. Le samedi
précédent, Balfour Kirk , the directeur des services
médicaux s'est rendu à l'hôpital civil pour prendre
conseil auprès de Yves Cantin comme il avait
l'habitude de le faire lorsqu'il y avait un problème.
Yves Cantin lui a recommandé de m'envoyer et le jour
suivant je me rendais au camp des détenus juifs.
Lorsque la mention est passée devant le Council ce
mardi là, Kirk a informé le Council qu'un officier
médical à plein temps avait été détaché auprès du
camp et cette déclaration semble avoir apaisé les
critiques. Au camp des détenus juifs, je me suis vu
attribué un interprète, un juif autrichien qui
parlait couramment anglais.
Parmi
les détenus, il y avait plusieurs médecins et
dentistes: Abeles, grand et d'humeur gaie, très
coopératif, âgé d'environ 35 ans et très actif.
Arnold, assez âgé, généraliste autrichien, un peu
rouillé mais très coopératif et très actif. Kummerman, surnommé Commarmon par nos infirmières,
était très jeune et névrosé, souffrant parfois de
dépression. Il avait très peu d'expérience. Lederer,
très jeune de Tchécoslovaquie. Je me souviens de lui
comme d'un étudiant en dernière année. Steinhaner,
environ 30 ans, paraissait très intelligent mais
n'était pas plus expérimenté que les autres.
Soberski était également rabbin et effectuait les
circoncisions; il n'a jamais travaillé dans l'hôpital
comme les autres médecins.
Aidé de
mon interprète et des docteurs juifs qui
travaillaient sous notre supervision, j'ai
rapidement acquis un grand nombre de termes médicaux
allemands,
si bien qu'après 2 mois, les détenus pouvaient me
consulter an allemand sans l'intermédiaire de
l'interprète. Robert Horsky s'occupait du cabinet
médical; il venait de Tchécoslovaquie et parlait
parfaitement 4 langues: tchèque, allemand, anglais
et français. Je crois qu'il connaissait également
l'hébreu ou le patois Yiddish. Il était mon
professeur d'allemand inofficiel et nous sommes
devenus amis. Lui et 80 autres tchèques on quitté
Maurice le 16 avril 1942 pour s'engager dans l'armée
libre tchèque et combattre le nazisme. Après la
guerre, il m'a écrit et même maintenant, il m'envoie
ses vœux de fin d'année et une carte l'été lorsqu'il
part en vacances.
En
1966, alors que j'étais en vacance en Terre sainte,
j'ai rencontré un juif autrichien qui connaissait le
Dr Arnold qui a ainsi obtenu mon adresse. Nous avons
correspondu jusqu'à son décès il y a trois ans. Il
s'était installé à Vienne et il m'a demandé des
timbres mauriciens; en retour j'ai eu 2 disques de
chansons folkloriques allemandes.
Dès le premier jour où j'ai travaillé au camp, j'ai
commencé à dire Guten Morgen à tous le monde. La
rumeur s'est rapidement répandue qu'un nouveau
docteur était arrivé et qu'il connaissait bien
l'allemand. Lorsqu'un groupe de détenu était engagé
dans une conversation, ils se taisaient
immédiatement lorsque j'approchais craignant que je
puisse comprendre ce qu'ils disaient et que je les
dénonce. Après la tournée du matin avec les médecins
juifs, je visitais chaque cellule de la prison. Deux
bâtiments de quatre étages; je ne me souviens plus
du nombre de cellule par étage.
Les services de Philippe de Spéville n'étaient plus
nécessaires et René Lavoipierre qui était officier
médical général des Plaines Wilhems a été désigné
officier médical en charge du camp de détenus juif
le 17 février 1941. Nous étions maintenant deux
officiers médicaux en charge des détenus et cela
s'est traduit par une très nette amélioration.
Nous
avions une intendante très efficace en la personne
de Mrs Hewitt, épouse d'un sergent de la garnison
locale. Elle est jeune et très jolie, yeux bleus,
mince et très active. Elle a été d'une grand aide
pour Lavoipierre et était appréciée par tout le
monde malgré la discipline stricte qu'elle a imposée.
Elle est resté environ deux ans et a du partir
lorsque son mari a été transféré au Royaume Uni.
Mrs Hewitt a été remplacée par Mrs Muller qui a par
la suite fondé la Clinique Muller, maintenant
appelée Clinique Lorette. Mrs Muller a poursuivi le
bon travail de Mrs Hewitt et a conquis l'estime des
détenus qui ont exprimé leur reconnaissance en
organisant un fête pour son anniversaire.
Les
deux premiers mois, le travail était exténuant en
raison des épidémies de dysenterie et de typhoïde qui
on pu être vaincues après que tout le monde ait été
vacciné. Des tapettes à mouche des bombes
insecticides ont été distribuées en quantité
généreuses aux détenus et on leur a donné pour
instruction de tuer les mouches et les moustiques
dans leurs cellules.
Il
n'y avait pas assez de lit pour tout le monde et de
nombreuses femmes devaient partager leur lits avec
d'autres. Dès qu'un lit devenait vacant suite au
décès d'une détenue, une femme s'empressait de
l'occuper sans attendre qu'il ait été désinfecté. Je
me souviens au moins d'une femme qui a ainsi
contracté la typhoïde et en ait morte. Après
quelques temps, des lits et des matelas
supplémentaires ont été
fabriqués et chaque femme pouvait disposer d'un lit
individuel.
Les
épidémies ont fait de nombreuses victimes qui ont
été enterrées au cimetière de St Martin près de
Petite Rivière. Les proches pouvaient seulement
accompagner le cercueil jusqu'à la porte du camp. Le
mort poursuivait son dernier voyage accompagné de
quelques officiels. Plusieurs années plus tard, un
ami m'a emmené au cimetière de St Martin et la vue
des tombes de quelques uns de mes ex-patients m'a
rempli de tristesse à la pensée de leurs agonies.
Les médecins juifs n'étant pas enregistrés à Maurice
devaient travailler sous notre supervision.
Les
détenus étaient convaincus que l'ail était très bon
pour la santé et il mangeaient quotidiennement
autant qu'ils en pouvaient. D'après l'école de
pensée anglaise, la chaleur est utilisée pour faire
tomber la fièvre et combattre les inflammations. Par
exemple, des bouillottes étaient utilisée pour
maintenir la poitrine au chaud en cas de pneumonie
mais les juifs avaient un point de vue différent.
Les patients atteints de pneumonie enveloppaient
leurs poitrines de serviettes mouillées. C'était
probablement une théorie continentale car les
médecins formés en France sont connu pour utiliser
des packs de glaces sur l'abdomen en cas
d'appendicite au lieu de bouillotes.
Les
tchèques étaient bien organisés et bien nourris
lorsqu'ils ont effectué le voyage pour la Palestine
mais les autres ont souffert de malnutrition et j'ai
appris que des filles s'étaient prostituées avec des
matelots pour obtenir de la nourriture. La
conséquence inévitable étaient des grossesses non
désirées et des maladies vénériennes. Les autorités
du camp ont du faire face au problème de ces filles
mères.
Chaque
jour pour deux heures, les femmes étaient autorisées
à rendre visite à leurs hommes mais n'étaient pas
autorisées à entrer dans les cellules. Les couples
avaient l'habitude de s'allonger sur la pelouse à la
mode de Hyde Park. Les femmes mariées ont signé une
pétition demandant à être autorisées à se rendre
dans les cellules avec leurs maris arguant qu'elles
étaient privées de leurs besoins physiologiques. La
demande a été agrée.
Les juifs
étaient issus de toutes les classes sociales et
certains étaient très éduqués. Un certain Handel a
même enseigné au Teacher's Training College mais a
par la suite été retrouvé pendu dans sa cellule. La
famille Haas s'est occupé de la cuisine et a mis en
place un petit orchestre qui s'est a l'occasion
produit en concert. Il y avait un très bon musicien
qui se nommait Steinberg. Certains organisèrent un
théâtre de marionnette. Les juifs étaient plutôt
bien traités; la seule chose dont ils se plaignait
était le fait d'être en détention et la perte de
leur liberté.
Certains avaient des proches et amis aux Etats-Unis
qui leur envoyaient de l'argent. Les autorités du
camp ont ouvert des comptes pour eux et ils
pouvaient seulement retirer de petits montants de
temps à autre. Dans le camp, il y avait un petit
magasin qui était gérés par des détenus et qui
vendait des articles divers: papier toilette,
bonbons etc
Ils
étaient de tous les âges et les femmes étaient de
beautés diverses. Il y avait une jeune femme aux
courbes généreuses grâce à son soutien gorge moderne.
Une petite fille de 5 ou 6 ans avec des yeux bleus
était une vraie beauté, plus belle qu'une poupée. Je
ne pense pas qu'elle avait du sang juif et ce n'est qu'indirectement qu'elle a été victime des persécutions
antisémites.
Les juifs ont développé une haine pour Hitler et le
nazisme, la cause de leurs malheurs, mais étaient
fiers de leurs nationalités. Un policier anglais a
refusé de recevoir un plombage en or et le dentiste
juif lui a répliqué: "Si c'est bon pour un allemand,
c'est également bon pour un anglais".
Une fois que les épidémies ont été éradiquées, la vie
est devenue trop calme. J'avais à peine une demi
heure de travail chaque jour et je passais mes
journées à ne rien faire si ce n'est pratiquer
l'allemand. Mes patients étaient principalement des
personnes âgées qui se plaignaient de maux
chroniques. A cette époque, la gériatrie n'avaient
pas encore été inventée.
Pendant que j'étais là, une jeune fille a eu une
crise d'appendicite et a été emmenée l'hôpital de
Moka où elle a été opérée par Roger Pilot avec
l'assistance de Lavoipierre et je me suis occupé de
l'anesthésie. Lavoipierre était occupé avec
l'administration et restait au camp jusqu'au coucher
du soleil. Je ne pouvais décemment pas quitter le
camp avant lui et je devais rester jusqu'à ce qu'il
parte. Franchement, la vie devenait ennuyeuse et
j'aspirais à un travail plus prenant et intéressant
à l'hôpital civil. Je suis donc allé voir le Dr Kirk
et je lui ai demandé à retransféré à l'hôpital
civil. Le jour suivant, il est parti parlé à
Lavoipierre. Je ne sais pas quel argument
Lavoipierre a pu avancer mais il ne s'est rien passé
pendant un mois. Finalement, je suis parti parler au
Dr D'Arifat qui gérait le département. Le Dr
D'Arifat a immédiatement agrée à ma requête et a
embauché Dr Régis Chaperon pour 10 Rs pour à peine
une heure de travail par jour ce qui était plus
économique que d'employer un officier médical à
plein temps. Ainsi je n'ai passé qu'environ 4 mois
avec les juifs.
Chaperon n'est pas resté longtemps là. Il a été
remplacé par Alex Vellin qui resté en poste pendant
4 ans. Par la suite, Lavoipierre a été retransféré
dans le district des Plaines Wilhems et Vellin a
pris en charge l'hôpital jusqu'à la fin de la
seconde guerre mondiale. Un médecin juif a alors été
envoyé par le gouvernement britannique pour prendre
en charge les détenus et les raccompagner en
Palestine, en Europe et aux USA. Finalement, les
juifs ont quitté Maurice le 10 août 1945 à bord du
Franconia.
Après avoir quitté le camp des détenus juifs,
Lavoipierre a été récompensé en étant promu officier
médical dans les Plaines Wilhems avec un salaire de
12 000 Rs, soit une augmentation de 2000Rs.
Au début, les juifs étaient surveillés de manière
très stricte mais après environ un an, ils étaient
autorisé à sortir du camp par groupe de 3 ou 4.
Lorsque 2 bateaux ont été torpillés au large de
Maurice, ils ont été suspectés d'espionnage et ce
privilège a été suspendu pour quelques temps."
Je me suis par la suite rendu
dans le carré juif du cimetière Saint-Martin. Alors
que je marchais parmi les tombes, je réalisais avec
émotion que bon nombre des hommes, des femmes et des
enfants qui étaient enterrés là avaient connu mon
ami Maxime Shun Shin. Pour beaucoup, son visage
rassurant était la dernière chose qu'ils avaient vu
avant de fermer leurs yeux pour l'éternité. En
lisant les épitaphes allemandes, je constatais que
ces réfugiés venaient de nombreux pays d'Europe
centrale:
Pologne, Autriche, Tchécoslovaquie, Allemagne
etc... Ces personnes n'auraient jamais pu imaginer
qu'elles mourraient et reposeraient dans une
lointaine île tropicale dans le sud de l'Océan
Indien.
A l'origine, il y a avait 127
tombes datées de janvier 1941 jusqu'à juillet 1945.
Une 128ème tombe a été ajoutée en 1989: la tombe de Isia Birger. Isia Birger est né en
Lituanie et a
immigré à Maurice en 1937. D'après le recensement de
1939, il était le seul juif de l'ile Maurice. Il a
intercédé en faveur des détenus et a servi
d'intermédiaire entre les autorités coloniales
britanniques et le South African Jewish Board of
Deputy. Il est décédé le 5 novembre 1989 et a été
enterré dans le cimetière juif de Saint Martin. Une
autre tombe a été rajoutée en 2014.
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Le cimetière juif de Saint-Martin à l'île
Maurice
-
© Seconde-Guerre-Mondiale.com |
Informations supplémentaires
"The Mauritian Shekel" de Geneviève Pitot,
disponible sur
Amazon
http://www.africanjewishcongress.com/MAURITIUS2.htm
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