La Guerre groß Malheur
Mes deux grands-pères étaient tous les deux devenus
agriculteurs pendant la guerre afin d'échapper au travail obligatoire en
Allemagne. Ils cultivaient ensemble un champ de pomme de terre à
Elisabethville. A l'époque du train à vapeur, Elisabethville se trouvait à
1h30 de Paris (45 minutes aujourd'hui). Il arrivait que des citadins
affamés viennent la nuit piller les champs de la grande banlieue et mes deux grands-pères devaient donc passer leurs nuits dissimulés dans un fossé à
se relayer pour
surveiller leur champ.
Un beau jour, ou plutôt une belle nuit, ils ont aperçu
quelqu'un qui rampait entre deux rangs de pomme de terre. Ils se sont chacun
emparé d'un gourdin et ont fondu sur l'intrus. L'homme se leva subitement et
les mit en joue avec son fusil. Ce n'était pas un parisien voleur de patate
mais un soldat allemand qui chassait le lapin... Naturellement, l'allemand
était convaincu que mes grands-pères étaient des résistants qui avaient
tenté de le zigouiller à l'arme blanche. Ma mère n'était pas encore conçue et j'étais bien parti
pour ne jamais naître... Heureusement, mon grand-père maternel avait une
connaissance scolaire approximative de la langue allemande et a tant bien
que mal réussi à lever le malentendu. Le soldat a finalement baissé son
fusil, s'est exclamé "La Guerre groß Malheur!" et les laissa filer.
C'est ainsi que mes deux grands-pères ont échappé au peloton d'exécution et
que j'ai pu sortir du néant 21 ans plus tard.
Mes deux grands-pères au début des années 1960 -
photo collection Seconde-Guerre-Mondiale.com
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