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Les mémoires d'Ossian Arthur Seipel
Chapitre 1
Barksdale Field
Après avoir
passé mon dernier vol de qualification à
Dodge City, on m’a envoyé à la base aérienne
Barksdale à Shreveport en Louisianne pour
suivre un entrainement. Ce devait être aux
environs du 18 ou du 20 janvier que Lois et
moi sommes arrivés à Shreveport. Nous
vivions dans un hôtel jusqu’à ce que nous
puissions trouver une chambre chez
l’habitant. Pendant que je prenais un bain
un soir à l’hôtel, j’étais assis le dos
contre le robinet. Cela faisait un moment
que j’étais dans la baignoire et l’eau
commençait à se refroidir. J’ai donc tourné
les deux robinets afin d’obtenir un bon
filet d’eau tiède. Lorsque la baignoire
était bien remplie, j’ai accidentellement
fermé le robinet d’eau froide et laissé
ouvert le robinet d’eau chaude. Je me suis
brulé le dos et j’en ai souffert plusieurs
jours.
On
m’attribué un équipage et nous nous sommes
entrainés. Nous avons pratiqué le
bombardement à haute altitude et à basse
altitude ainsi que des exercices de tirs au-dessus
du golfe du Mexique. Nous nous sommes
perfectionnés jusqu’au jour où a eu lieu le
vol de qualification. Je me suis retrouvé
avec un petit capitaine sûr de lui que j’ai
détesté dès le début. J’ai d’abord vérifié
l’avion, je l’ai trouvé acceptable et j’ai
signé, mais c’était une version plus récente
du B-26 avec une envergure de 6 pieds de
plus que les versions précédentes. J’avais
appris à voler sur un B-26-B avec une
envergure de 65 pieds et celui-ci était un
B-26 B-10 – MA avec une envergure de 71
pieds. |
|
2nd Lt Ossian
Arthur Seipel - Photo Lynn Dobyanski |
C’est de ma faute ;
j’aurais du remarquer la différence, mais je suppose
que j’étais excité et énervé par le capitaine. J’ai
piloté l’avion avec brio mais je me suis planté
lamentablement à l’atterrissage. L’envergure
supplémentaire fait que l’avion restait en l’air
plus longtemps que ce à quoi j’étais habitué, et
j’ai piqué du nez pour toucher le sol. Le capitaine
a tiré les manettes pour m’en empêcher. J’ai tiré
dans l’autre sens et les roues avant ont touché le
sol en premier brisant ainsi les amortisseurs.
Vers la mi-février,
j’ai dû renvoyer Lois chez ses parents. On m’a donné
l’ordre de me rendre avant le 1er Mars à Hunter
Field en Géorgie. En somme, nous devions prendre
livraison d’un nouvel avion complètement équipé pour
le combat et nous tenir prêt. Nous avons volé
seulement 7 heures sur cet avion ; nous devions
régler la boussole et vérifier qu’il était apte au
vol. L’avion se comportait bien et nous avons donc
pris la direction de Homestead Field en Floride et
là on nous a expliqué comment nous rendre sur l’ETO
(ETO = European Theatre of Operation : Théâtre
d’opération européen).
Je devais voler avec
un gars nommé Rodney Reid qui était dans une classe
avant la mienne mais n’avait pas de copilote. Son
ingénieur était également du voyage pour résoudre
d’éventuels problèmes mécaniques.
On nous a aussi
donné un navigateur pour nous guider lors de notre
traversée de l’atlantique. Il faisait partie du Air
Transport Command. Son boulot était de faire
l’aller-retour pour guider les équipages traversant
l’Atlantique.
Nous avons d’abord
mis le cap vers Porto-Rico où nous avons fait notre
première halte. Le rhum et le coca coûtaient 10
cents, donc on en a profité.
Notre étape suivante
était en Guyane britannique et le terrain
d’atterrissage était en pleine jungle. Il fallait
qu’on avertisse la base par radio de notre arrivée
afin qu’ils fassent déguerpir les alligators en
parcourant plusieurs fois la piste en voiture.
Le mess était fermé
lorsque nous sommes arrivés et nous sommes donc
partis en direction du club des officiers et nous
avons passé la nuit à boire. Je n’étais pas un bon
buveur et j’étais saoul. J’ai eu du mal à ne pas
sortir du chemin lorsque je suis retourné vers le
dortoir des officiers mais j’ai tant bien que mal
fini par trouver mon lit. Le problème, c’est qu’il y
avait un filet anti-moustique suspendu à une corde
et qui couvrait toute la rangée de lits. Quelques
minutes après m’être allongé, j’avais envie de vomir.
Je me suis empêtré dans le filet et je l’ai fait
tomber d’un bout à l’autre. Je suis parti aux
toilettes puis dans la douche. Je me suis assis par
terre et j’ai laissé l’eau froide couler sur moi.
Etant donné que nous étions sous les tropiques,
l’eau n’était pas très froide. Un colonel est venu
pour voir si j’étais OK mais m’a laissé là où
j’étais. Il m’aurait probablement enguirlandé pour
avoir mis par terre le filet mais il a eu pitié de
moi.
J’ai finalement pu
m’endormir et je me suis rendu sur la piste pour le
décollage. Ça s’est bien passé et je suis
immédiatement retourné vers l’arrière et je me suis
allongé. J’avais des convulsions. Un coup d’oxygène
et un peu de repos m’ont remis suffisamment d’aplomb
pour pouvoir faire mon travail. Nous avons survolé
la jungle et je me demandais ce que nous ferions si
nous étions forcés d’atterrir.
Ce dont je me
souviens bien, c’est l’eau qu’on nous donnait à
boire. Elle n’avait pas bon goût. C’était de l’eau
purifiée chimiquement. Nous buvions donc surtout du
coca et autre boissons en boite importées des
Etats-Unis.
Nous avons atterrit
à Belém avec quelques difficultés : Nous ne sommes
pas parvenu à établir le contact avec la base et
nous avons survolé la piste à deux reprises pour
leur signaler notre présence et leur demander de
faire déguerpir les alligators. Nous avons déjeuné
pendant qu’on remplissait les réservoirs de
carburant et que la radio était réparée. Nous sommes
ensuite parti pour Natal au Brésil. Ce devait être
notre point de départ pour notre traversée de
l’atlantique.
A Natal, on a
rajouté des réservoirs de carburants
supplémentaires. J’en ai profité pour faire un tour
en ville et m’acheter une paire de « mosquito
boots », des bottes en cuir très souple qui arrivait
à mi-cuisse. Elle était très confortable. J’ai aussi
pris quelques bas en soie pour Lois car elle ne
pouvait pas en trouver pendant la guerre. J’ai
découvert bien plus tard qu’ils étaient bien trop
petits.
Un point à préciser
concernant le B-26. Il n’y avait pas de pilote
automatique et pendant tout le vol, il fallait en
permanence quelqu’un aux commandes.
Après de longues
explications sur la manière d’atterrir à l’île
d’Ascension, nous avons décollé en direction de
l’est au-dessus de l’océan. Le voyage en lui-même
était très ennuyeux mais lorsque nous sommes arrivés
en vue de l’île, c’est devenu plus excitant. Nous
avons contacté la tour « Wide Awake » pour leur
demander de nous communiquer les instructions pour
l’atterrissage. Nous avons été informés que nous
devions atterrir sur leur seule piste en état de
fonctionnement et que nous aurions le vent dans le
dos ce qui n’est pas bon. Cela signifiait que nous
devions aborder l’extrémité de la piste qui se
trouvait au bord de la falaise. Nous devions viser
30 pieds (9 mètres) sous le sommet de la falaise. Si
tout se passait bien, le vent heurtant la falaise
allait nous propulser vers le haut. C’était
contraire à notre instinct et à la formation que
nous avions reçue mais nous devions le faire. Dieu
soit loué, ça a marché.
La piste était assez
bien nivelée. L’ile de l’Ascension était possession
britannique et semblait être l’endroit le plus isolé
de la planète. Les seuls être vivants à part les
britanniques était les oiseaux et les phoques. Nous
y avons passé la nuit et ensuite nous sommes parti
pour Dakar au Sénégal. Nous nous trouvions dans la
jungle africaine et après avoir refait le plein
d’essence, nous sommes partis pour le Maroc,
Marrakech plus précisément. Nous avions deux jours
de repos et je suis parti en ville. Je ne voulais
pas rester trop longtemps. J’ai acheté pour Lois un
"pin" de la forme d’une épée marocaine et je suis
rentré à la base. L’hôtel où nous avons dormi était
confortable et dans la chambre il y avait un bidet.
Nous avons fait le
plein et nos mitrailleuses ont été nettoyées,
inspectées et on nous a donné suffisamment de
munitions pour l’éventualité où nous serions pris à
partie par des JU-88 allemands le long de la côte
française. L’avion devant nous a crashé au décollage
et a pris feu en bout de piste. Ce n’était pas un
bon commencement pour la journée et nous avons été
retardés de quelques heures.
Après le décollage,
nous avons mis le cap plein nord à environ 8000
pieds (2400m) et je pouvais imaginer des JU-88
derrière chaque nuage. Les mitrailleuses devaient
être testées avant que nous arrivions à hauteur de la
France et cela nous a donné l’impression que nous
étions presque dans la guerre.
Le voyage était
plutôt ennuyeux mais nous l’avons fait dans les
délais. Nous devions atterrir à Stanstead Field
(Landsend). Il y avait des terrains d’aviation
partout et les routes aériennes se chevauchaient. Ce
n’était pas rien de trouver la bonne piste mais nous
y sommes parvenus. Les britanniques étaient
excellents pour nous donner les instructions mais
les américains devaient nous les relayer pour que
nous puissions les comprendre. Incroyable comme
l’anglais peut ressembler à une langue étrangère
lorsqu’il est parlé par un anglais.
Nous avons confié
l’avion aux mécaniciens et nous sommes partis passer
la nuit dans un hôtel en ville. Je n’avais jamais eu
aussi froid et j’étais encore en uniforme d’été ; Je
n’avais pas encore déballé mes affaires. J’ai diné
et j’ai ensuite pris un bain bien chaud et je me
suis couché. Lorsque j’étais enfant, nous ne
mettions jamais plus de 6 pouces d’eau dans la
baignoire mais là je la remplissais jusqu’au bord et
je restais dans la baignoire jusqu’à ce que l’eau
devienne froide. Le lendemain matin, je me suis
habillé chaudement et je suis descendu pour le petit
déjeuner. J’ai commandé des œufs, du bacon et du
café mais ils m’ont servi des céréales avec de l’eau
chaude et du thé.
Ce matin du 23 mars
1944, nous avons pris le train à Liverpool et
ensuite nous avons pris un bateau pour l’Irlande du
Nord. Là nous avons suivi un entrainement encadré
par des pilotes qui avaient déjà participé à des
missions de combat.
Notre base se
trouvait près d’un village appelé Ballymeana dans le
comté d’Antrim. Un jour je me suis retrouvé nez à
nez avec un caporal nommé Sammy Hoffman. Nous avions
joué au football ensemble à l’université de Drake.
Il était là depuis 2 mois et travaillait pour la
section photographie. Il nous a pris en photo et
nous avons été boire quelques verres en ville. Nous
n’étions pas supposé fraterniser, mais nous avons
parlé de ce qui s’était passé depuis que nous avions
quitté Drake et il était heureux de savoir que je
m’étais marié avec Lois.
J’ai acheté un vélo
à Sammy pour 5 livres, juste pour me déplacer sur la
base et me balader dans la campagne le dimanche,
seul jour de repos.
Un jour, le général
Doolittle a visité la base. Lorsque les officiers
ont appris qu’il allait venir, il nous ont préparé à
la visite en rendant la courtoisie militaire plus
stricte. Tout le monde devait saluer les officiers
de rang supérieur et rendre le salut à tous les
hommes de troupes. Il fallait donc que je salue tout
le monde. De ce point de vue-là, le vélo était très
pratique car il n’est pas nécessaire de saluer
lorsqu’on est sur une bicyclette.
Pendant mon séjour
en Irlande, nous nous sommes entrainés au
bombardement au-dessus de la mer du nord et sur des
lacs. Nous faisions beaucoup de bombardements à
basse altitude (environ 50 pieds). Il y avait aussi
des cibles sur des bateaux que les mitrailleurs
devaient viser. Nous nous sommes aussi entrainés au
vol en formation et nous devions voler aux
instruments car le temps était mauvais la plupart du
temps. Nous devions décoller et former une formation
même quand le temps était exécrable. Souvent, nous
ne pouvions voir à plus de 200 pieds (60m). C’était
angoissant par moment mais nous y sommes parvenus et
cela nous a bien servi à plusieurs reprises en
Angleterre.
Je suis parti à
Belfast une fois, pour essayer de trouver quelque
chose pour Lois. J’ai seulement trouvé un "pin"
fabriqué avec une pièce anglaise taillée en forme de
Spitfire. J’ai aussi acheté de la toile irlandaise,
une nappe et quelques mouchoirs. Je me suis acheté
de la gabardine dans l’intention de me faire faire
un uniforme en arrivant en Angleterre.
Sammy m’a présenté
un irlandais nommé Ian Graham qui était le coiffeur
de la base. Il était également pêcheur et lorsqu’il
a su que j’aimais pêcher, il m’a parlé d’une rivière
près de la base ou nous pourrions pêcher des truites.
Quelques jours plus tard, il m’a amené une canne à
pêche et nous avons passé le dimanche après-midi à
pêcher la truite. Sa mère les a fait frire et
j’étais invité à diner le soir. Son père était
pharmacien et Ann, la sœur de Ian ainsi que la
petite amie de Ian travaillaient avec lui à la
pharmacie. Ça faisait du bien de se retrouver parmi
des civils, d’autant plus que j’étais le héros
américain.
J’étais libre le
dimanche et c’est donc là que j’ai passé trois
dimanche. Ian et sa petite amie Mary ou Marie (ça
sonnait comme « Mree » lorsqu’il disait son nom)
partaient danser à l’hôtel de ville et ils ont
demandé si Ann et moi voulions venir avec eux.
C’était étrange; ils avaient des concours stupides:
celui qui pouvait réciter un poème ou bien qui
chantait le plus fort remportait une douzaine
d’oranges et le second prix était une barre de
chocolat. Cela pouvait se comprendre dans les sens
que les gens aux Royaume-Uni ne pouvaient pas se
procurer ce genre de choses. Les danses consistaient
par exemple à « mettre son pied gauche à l’intérieur,
puis à l’extérieur, puis de nouveau à l’intérieur
puis à le secouer ». Les irlandais riaient et
s’amusaient bien pendant que nous les Yankees
semblaient hors du coup. J’étais soulagé lorsque 10
heures a sonné et que nous autres les yankees
devaient prendre le bus pour retourner à la base.
J’ai passé environ un mois en Irlande, et ensuite,
j’ai dû partir pour l’Angleterre et la guerre. Ian a
ouvert une bouteille de Cognac qu’il gardait pour la
fin de la guerre et nous avons bu quelques verres.
Avant de partir, j’ai donné mon vélo et quelques
barres de chocolat à Ann pour qu’elle n’ait pas
besoin de participer à des concours bizarres pour
remporter une barre de chocolat.
Page suivante
Chapitre 1:
Barksdale Field
Chapitre 2:
Angleterre
Chapitre 3:
Captivité
Chapitre 4:
Sagan
Chapitre 5:
La marche
Chapitre 6:
Moosburg
Chapitre 7:
Libération
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