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Les mémoires d'Ossian Arthur Seipel
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Chapitre 2
Angleterre
Nous sommes retournés en Angleterre par
bateau puis nous avons pris un train jusqu’à
Rivenhall, un aérodrome près de Chelmsford
dans l’Essex et nous nous sommes mis au
service du 397th bomb group. Le
397th BG était le dernier groupe
de B-26 à avoir été attribué à la Ninth Air
Force et était composé des escadrons 596,
597, 598 et du QG. Je me trouvais assigné
dans l’escadron 597. Le groupe a accompli sa
première mission de combat le 20 avril 1944.
Je suis arrivé à temps pour participer à la
7ème mission le 27 avril 1944.
Tous les nouveaux équipages qui arrivaient
étaient démantelés et les aviateurs étaient
répartis parmi différents équipages. Tous
les pilotes servaient comme copilote pour
les 5 ou 6 premières missions afin de se
former au combat.
La première chose que j’ai faite a été
d’acheter un nouveau vélo. C’était nettement
plus facile que de se déplacer à pied et la
contrainte des règles de salutations rendait
un vélo encore plus nécessaire. |
|
2nd Lt Ossian
Arthur Seipel - Photo Lynn Dobyanski |
Je ne me souviens pas grand-chose de mon séjour
là-bas. Nous logions dans des hangars métalliques
appelés « Quonset huts ». Ils ressemblaient à de
gigantesques tuyaux métalliques coupés en deux dans
le sens de la longueur et dont les extrémités
étaient fermées. Dans certains de ces hangars, des
fenêtres avaient été découpées et le métal avait été
replié au-dessus de la fenêtre formant ainsi une
sorte d’auvent. Tous les bâtiments sur la base
étaient des « Quonset huts » : le mess, le club des
officiers, l’hôpital, salle de contrôle des vols.
Tous les bâtiments sauf les toilettes. Chaque
aviateur avait un espace de 6 pieds par 10 pieds ou
il devait mettre son lit et un coffre. On pouvait
s’allonger et serrer la main des gars de part et
d’autres. Les toilettes étaient à l’extérieur et
faites de brique et servaient également d’abris
anti-aériens. Il y avait un poêle au milieu de la « Quonset
huts » et c’était efficace pour le chauffage.
Il n’y avait pas d’heure particulière pour le réveil
étant donné que seuls les gens qui devaient voler
étaient réveillés à temps pour se rendre au mess
pour le petit déjeuner et ensuite a briefing. Ceux
qui devaient partir pour une mission plus tard dans
la journée avaient leurs noms sur le panneau
d’affichage dans le mess. Il fallait impérativement
regarder le panneau d’affichage avant de prévoir
quoi que ce soit.
Lorsqu’on était prévu sur un vol, un soldat venait
avec une lampe de poche pour vous réveiller dans
votre lit. Il tapotait gentiment pour vous réveiller
sans réveiller les autres. Bien entendu, certains
étaient plus doux que d’autres et la plupart du
temps seuls ceux plongés dans un profond coma ne se
réveillaient pas. Une fois réveillé, il fallait se
diriger vers le mess pour un solide petit déjeuner.
Certains gars se plaignaient de la nourriture mais
je l’ai toujours trouvé bonne. Je prenais des œufs
brouillés, des toasts avec du bacon et du café. Nous
partions ensuite en direction de la piste.
Les pilotes et les navigateurs se rassemblaient dans
la salle de briefing pour recevoir les instructions
et des informations sur la cible du jour. Les
officiers nous montraient sur une grande carte, la
cible, les emplacements de la flak (DCA allemande)
et la route à suivre. On nous expliquait quel type
de bombe nous utiliserions et on briefait sur
l’importance de détruire cette cible particulière.
Les bombardiers (aviateurs en charge du largage des
bombes) se réunissaient dans une autre salle pour
des instructions plus spécifiques. Les autres
membres d’équipage préparaient l’avion pour la
mission. Les bombes et les munitions étaient
chargées à bord.
Nous n’étions pas censés avoir sur nous quoique ce
soit qui puisse aider l’ennemi si jamais nous
tombions entre ses mains et nous devions donc
laisser à la base nos portefeuilles, lettres et
autres articles personnels. La plupart d’entre nous
retiraient leurs insignes. Nous prenions ensuite
livraison de nos parachutes, kits d’évasion et
pistolets. Ensuite, nous prenions une dernière tasse
de café.
Ensuite, nous nous dirigions vers les avions,
généralement en camion. Après avoir fait le tour de
l’avion pour l’inspecter, tout le monde montait à
bord et nous suivions les instructions pour nous
mettre en position sur la piste de décollage.
Ensuite, nous faisions une dernière vérification des
moteurs et des instruments. Puis nous attendions
assis le signal pour le décollage. Une lumière verte
provenant d’un « pistolet » nous indiquait que nous
devions décoller. Ce pistolet appelé « biscuit gun »
émettait un faisceau de lumière verte en direction
de l’avion qui devait décoller. Une fois que l’avion
de tête recevait son signal, il commençait à rouler
sur la piste. L’avion suivant se mettait en position
et attendait le signal. Dès le signal reçu, on
mettait les gaz et on partait.
L’Angleterre est connue pour son mauvais temps et
nous avions une procédure pour décoller dans des
conditions de faible visibilité. L’avion de tête
décollait et s’élevait à une cadence déterminée en
suivant un cap et une vitesse précise.
Le deuxième avion décollait dès que le signal lui
était donné et dès que les roues étaient rentrées,
il tournait à gauche à 45° pour un nombre précis de
secondes et ensuite reprenait le cap original et
maintenait la même vitesse d’ascension. Le 3ème
avion décollait lui aussi dès que le signal lui
était donné et ensuite tournait à droite à 45° pour
le même nombre de secondes et ensuite reprenait le
cap original. Tous les avions qui suivaient,
procédaient de même et aussi surprenant que cela
puisse paraître, nous émergions des nuages en une
formation à peu près correcte. Nous peaufinions
ensuite pendant que nous poursuivions notre
ascension. Cela faisait plaisir de voir ce que
les vols d’entrainement nous avaient permis
d’accomplir. Lorsque nous étions au-dessus de la
Manche, tous les mitrailleurs testaient leurs
mitrailleuses et ensuite restaient dans l’attente
d’un éventuel ennemi.
Arrivé au-dessus du territoire ennemi, on se sentait
un peu nerveux et lorsque la flak commençait à
tirer, cela devenait très stressant. La bonne chose
avec la flak, c’est que lorsqu’elle nous tirait
dessus, on était sûr qu’il n’y avait pas d’avions
ennemis. Par contre dès que la flak arrêtait de
tirer, on pouvait être certain que quelqu’un allait se
faire tirer dessus par un chasseur allemand. La
route suivie était sensée nous tenir à l’écart des
tirs massifs de la flak statique mais quelques tirs
de flak occasionnels étaient fréquents et pouvaient se
produire à peu près n’importe où au-dessus du
territoire ennemi. Les canons anti-aériens de 88
millimètres étaient mobiles et pouvaient être situés
n’importe où. Les cibles étaient généralement bien
défendues par la flak et on pouvait le voir
plusieurs kilomètres avant d’arriver sur le site.
Les tirs de flak étaient parfois si denses qu’on
aurait dit des nuages d’orage. C’était terriblement
effrayant lorsqu’on savait que c’était là qu’on se
dirigeait.
Lorsque nous étions en formation et que nous
effectuions une manœuvre d’évitement, le pilote
n’avait pas le temps de regarder le paysage car ses
yeux devaient restés rivés en permanence sur les
ailerons de l’avion de tête afin de pouvoir réagir
immédiatement et reproduire ce que faisait l’avion
de tête. Le copilote devait surveiller les avions
ennemis et surveiller les instruments pour s’assurer
que les moteurs fonctionnaient normalement et il
devait se tenir prêt à prendre les commandes
immédiatement si nécessaire. Il était en charge des
communications et devait prendre note de
l’emplacement du groupe et devait savoir comment
rentrer à la base si jamais on perdait le groupe de
vue. Tous les membres d’équipage étaient en alerte
pour repérer les chasseurs ennemis et s’ils en
repéraient, ils devaient communiquer le nombre et
leur localisation.
Il fallait impérativement maintenir une formation
aussi serrée que possible pour pouvoir larguer les
bombes correctement sur la cible. Une formation
rapprochée offrait en outre une meilleure protection
contre les chasseurs. Chaque avion était responsable
d’une zone et comptait sur les autres avions pour
prendre en charge leurs zones respectives. Cela
permettait de tenir en échec tout chasseur quelle
que soit la direction d’où il aurait pu venir. Ça
marchait la plupart du temps.
Les manœuvres d’évitement étaient plutôt
angoissantes surtout pour les « boîtes
inférieures ». Une formation était constituée
d’avions volant en haut à droite de l’avion de tête
et d’avions volant en bas à gauche de l’avion de
tête. On appelait cela des « boites ». Lorsque
l’avion de tête tournait à gauche, les avions situés
à gauche de la formation devait réduire les gaz et
les avions situés à droite devaient accélérer. Les
avions de gauche volant à une altitude moindre,
étaient plus près du sol et voyaient donc leur marge
de sécurité singulièrement réduite.
Le navigateur de l’avion de tête était censé nous
amener jusqu’à la zone à bombarder en suivant une
route qui évite autant que possible la flak
statique. Pendant les dernières minutes avant
d’arriver sur la cible, il fallait se fier au
bombardier de l’avion de tête pour trouver le point
de visée et s’aligner sur la cible. Dès qu’il
lâchait ses bombes, les autres avions larguaient les
leurs. Aucune manœuvre d’évitement n’était possible
durant le largage des bombes et cela semblait
interminable. On pouvait entendre les éclats des
tirs de flak heurtant l’appareil et sentir les
secousses lorsqu’on était raté de peu. J’ai été
heurté par un éclat de flak qui a transpercé le
plancher du cockpit et a tournoyé un peu avant de
heurter mon pied. L’éclat a chassé mon pied de la
pédale mais je n’ai pas été blessé. Tout le monde
priait à sa manière car il n’y avait pas grand-chose
d’autre à faire. Le fait de voir un avion se faire
abattre accroissait le stress : ça aurait pu être
vous.
Lorsque les bombes étaient larguées, l’avion
semblait bondir et devenait un peu plus maniable une
fois débarrassé de ses deux tonnes de bombes. Après
le largage des bombes, les manœuvres d’évasion
redevenaient possible et la formation était moins
serrée. Si on n’avait pas pu trouver la cible en
raison de la couverture nuageuse ou pour une autre
raison, alors on partait à la recherche d’une cible
alternative ; « on ne voulait pas ramener les bombes
à la maison ». Je me souviens d’une mission où on
les a largués dans la Manche au large de la côte
française et ça a fait exploser une douzaine de
mines.
De retour à la base, les avions avec des blessés à
bord ou avec des avaries mécaniques atterrissaient
en premier. Les autres atterrissaient dans l’ordre
prévu.
Après l’atterrissage, nous allions droit au
débriefing. Des agents des services de
renseignements interrogeaient chaque aviateur
concernant tous ce qu’il pouvait avoir observé
d’intéressant. Le personnel médical servait un verre
à qui le demandait. Je me souviens d’une mission où
un photographe avait été tué. Un éclat de flak
l’avait touché au front et lui avait arraché la tête
alors qu’il prenait des photos. J’étais retourné et
ils m’ont donné une bouteille à partager avec le
reste de l’équipage. Ça n’a pas été d’une grande
aide.
J’ai participé à quelques missions qui étaient
relativement facile. Ils assemblaient un équipage
constitué de quelques aviateurs n’appartenant à
aucun équipage particulier. Au lieu de larguer des
bombes, nous larguions de la paille d’aluminium. On
décollait avant le reste du groupe et on volait
jusqu’à la zone à bombarder. Nous étions
généralement épargnés par la flak car les allemands
ne voulaient pas gâcher leurs munitions pour un
avion solitaire. Toutefois les chasseurs
représentaient une menace. Le reste du groupe
suivait 10 minutes derrière. Arrivé au-dessus de la
cible nous larguions la paille d’aluminium qui
tombait lentement. La paille d’aluminium était
censée perturber les radars de la flak. Les
allemands tiraient alors tous azimut. Si le timing
était bon, le reste du groupe volait à environ 1000
pieds (300m) au-dessus de la paille d’aluminium. Je
pense que c’était efficace car le taux de perte
était généralement plus faible ces jours-là. Après
avoir largué la paille d’aluminium, nous retournions
à toute allure vers la base.
La croix rouge était toujours là à la fin d’une
mission. Ils nous servaient des beignets et du café
dès que nous sortions de la salle de débriefing.
C’était réconfortant de voir les filles de la croix
rouge qui nous servaient le café et les beignets et
il y a eu beaucoup de « flirts amicaux ». A ma
connaissance, ces flirts sont toujours restés sans suite.
J’ai passé un week-end en Ecosse mais je me souviens
seulement que c’était une belle région. Je me
souviens notamment avoir regardé la mer du nord en
furie depuis le somment d’une falaise. Je me suis
acheté une alliance car je me sentais fier d’être
marié.
J’ai aussi passé un week-end à Londres. Je me
souviens être arrivé après la nuit tombée et j’ai
pris le « tube » jusqu’en banlieue. J’ai diné et
j’ai pris possession de ma chambre. Le lendemain
matin, j’ai regardé par la fenêtre et j’ai découvert
un paysage de désolation. Le bâtiment dans lequel je
me trouvais était le seul qui tenait encore debout.
Je crois que ça m’a permis de prendre conscience de
ce qu’un raid aérien pouvait faire à une ville. J’ai
passé la nuit suivante dans un hôtel en face de Hyde
Park. Alors que je me trouvais à la réception, j’y
ai retrouvé un ami à moi, Ted Bean. Il avait une
suite avec 2 chambres et m’a invité à la partager à
condition de partager les frais. C’était assez
luxueux et la nourriture était bonne mais au milieu
de la nuit, nous avons été réveillés par un tir de
V1. Il m’a semblé que c’était tombé à proximité. Je
suppose que la plupart des locaux s’étaient rendu
aux abris mais le temps que je réagisse, l’alerte
était passée et je suis donc resté là où j’étais.
Les V1 étaient des armes effrayantes. Ils faisaient
le bruit d’un moteur de bateau hors-bord et il y
avait une terrible explosion environ 10 ou 15
secondes après que le bruit du moteur ait cessé.
C’était des armes de terreur lancées depuis la
France et ayant l’Angleterre pour cible. Les tirs
n’étaient pas précis et certains s’écrasaient sur
les villes et d’autres en pleine campagne. Certains
atterrissaient même près de notre base. J’ai même
entendu dire que certains avait touché l’Irlande.
Heureusement ils se déplaçaient lentement et
pouvaient être abattu dans la mesure où ils étaient
détectés à temps.
Notre base à Rivenhall appartenait initialement à un
groupe de combat anglais et aux alentours du 1er
mai, il y a eu une cérémonie officielle pour le
transfert de la base avec une visite de la famille
royale en l’occurrence la Princesse Elizabeth. Je
crois que ça a duré une demi-heure mais maintenant
la base nous appartenait.
Vers la mi-mai, nous étions plus ou moins confinés
sur la base. Le personnel civil travaillant sur la
base était restreint. Le Colonel Coiner et tous les
officiers supérieurs n’étaient pas autorisés à
prendre part aux missions. Tout cela nous donnait
une indication que quelque chose se préparait. Les
lettres que nous envoyons à nos familles étaient
bloquées de peur que quelqu’un dévoile quelque chose.
Personne ne savait quand le grand jour aurait lieu
mais les paris allaient bon train. Je pariais sur le
5 juin car c’était mon anniversaire de mariage.
Aussi incroyable que cela puisse paraitre, c’est ce
jour-là que le débarquement était initialement
prévu.
J’ai rencontré un gars, un sergent, qui travaillait
dans la maintenance des tourelles et des nez d’avion
en plexiglas. Il m’a refait une crosse en plexiglas
pour mon pistolet de calibre 45. Il l’a bien poli et
mis la photo d’une jolie fille sur le côté droit de
la crosse afin qu’on puisse la voir lorsque le
pistolet était dans son étui. L’autre côté était
transparent ce qui permettait de voir les balles. Je
n’aimais pas l’étui qu’on m’avait donné ; il se
tenait sur l’épaule. J’ai pu obtenir un étui qui se
tient à la ceinture auprès de la police militaire.
Le 6 juin 44, on nous a réveillés vers 2 heures du
matin. Tout paraissait normal jusqu’à ce que nous
arrivions au briefing. Il y avait plus de hauts
gradés que d’habitude, y compris le Brigadier
Général Anderson, Commandant Général de la 9th
Bomber Command. Notre cible était Les Dunes de
Varreville, des collines fortement défendues juste
derrière les plages de Normandie. Nous devions
frapper à 6.20. Ni avant, ni après.
On nous a avertis que toute erreur devait être dans
la ligne de tir. Cela signifiait que si on ratait la
cible, la bombe devait impérativement tomber devant
ou derrière la cible car nos soldats se trouveraient
à gauche et à droite de la ligne de bombardement.
Le Colonel Coiner nous expliqua ce que notre groupe
avait fait en vue de cette opération. La plupart de
nos cibles depuis la mi-Mai étaient des ponts et des
gares de triage. Cela avait pour but de perturber le
trafic ferroviaire et le trafic routier et de
réduire la capacité de l’ennemi à rassembler ses
troupes, ses chars et autre équipement lourd. On
nous a donné le nom de « Bridge Busters »
Après le briefing, l’aumônier nous a donné une
courte messe. Presque tout le monde y a assisté.
En nous rendant vers les avions, nous avons remarqué
que tous les avions avaient des “invasion stripes”
sur les ailes et le fuselage (ndlr : des bandes
noires et blanches pour faciliter l’identification
des avions alliés et réduire le risque de méprise
lors du débarquement). Les gars de la maintenance
avaient passé la nuit à les peindre. Le capitaine en
charge de la maintenance dormait dans le même hangar
que moi et n’avait rien dit alors qu’il devait être
au courant depuis la veille.
Comme par malchance, c’était un de ces jours où il
fallait décoller aux instruments. Je crois que nous
avons perdu un seul avion au décollage et c’était en
raison de la panne d’une pompe hydraulique. Les
autres avions se sont mis en formation à 6000 pieds
(1800m) et nous avons mis le cap vers le sud.
Environ 15 minutes avant la cible, nous sommes
descendus à environ 1000 pieds (300m) et nous avons
volé par groupes de 3 avions espacés de 100 pieds
(30m). Nous nous sommes maintenu à 1000 pieds
jusqu’à la cible. Il y avait tellement de balles
traçantes que cela ressemblait à un rideau
rougeâtre. Je crois que je n’ai jamais eu aussi peur
que ce jour-là. On n’avait pas le temps de penser à
ce qu’on faisait. Tout se déroulait de manière
réflexe et c’est cela qui nous a permis de nous en
sortir. Après le largage des bombes, nous avons fait
un grand virage à droite tout en gagnant de
l’altitude et nous avons mis le cap vers le nord en
direction de l’Angleterre. Nous avons volé en
formation pour le voyage du retour.
Après un bon déjeuner et après avoir essayé de faire
la sieste et peut-être quelques prières et nous
étions de retour dans la salle de briefing pour un
nouveau raid sur des places fortifiées à Trouville.
Le bombardement devait se faire depuis 9000 pieds
(2700m) et la frappe était prévue pour 18.15. J’ai
volé comme copilote sur cette mission et j’ai eu la
chance de voir la flotte massive qui avait été
rassemblée pour l’invasion. Les tirs de DCA étaient
intenses et j’avais l’impression qu’ils tiraient des
sortes de fusées dans notre direction car il y avait
une trainée de fumée. J’en ai fait part aux services
de renseignements à mon retour et je n’étais pas le
seul. Le gars des services de renseignements m’a
semblé intéressé.
Je commençais à me sentir découragé de ne pas avoir
mon propre équipage. Je me sentais plus à l’aise
lorsque j’étais en charge. Je ne sais pas comment
les autres le ressentaient, mais je voulais prendre
en charge l’ensemble du vol. J’y ai réfléchi pendant
quelques jours et finalement j’ai fait une demande
de transfert pour un groupe de P-38. J’avais
l’habitude d’obéir et de faire ce qu’on me disait de
faire sans discuter mais dans le cas présent,
j’avais envie d’intégrer un groupe de chasseurs.
J’ai choisi le P-38 car il a deux moteurs et je
pensais pouvoir le piloter car j’avais déjà de
l’expérience avec les bimoteurs. Le Major Frank
Wood, l’officier en charge de l’escadron m’a dit
qu’il allait y réfléchir.
J’ai volé comme copilote avec un gars nommé Knox
pendant une semaine environ. Il était plus âgé, 27
ans je crois. Nous nous entendions bien et j’ai
piloté une bonne partie du temps, mais ce n’est pas
ce que je voulais. J’ai recontacté le Major Wood et
il m’a dit que Knox allait être promu dans un groupe
de tête et que Knox me voulait comme copilote. Je
lui ai dit que j’étais flatté mais que je voulais
quand même être transféré. Il m’a expliqué que ce
n’était pas facile et qu’il fallait qu’il s’arrange
pour que quelqu’un du groupe de P-38 me fasse passer
un vol de qualification avant qu’on puisse
considérer un transfert. Parfait. J’étais prêt!
Après le dîner du 23 juin, j’ai remarqué que je
devais voler avec Knox et son équipage le jour
suivant et qu’un photographe allait nous
accompagner. Cela ne me paraissait pas bon. Je me
souvenais de cet autre photographe qui avait été
tué. J’avais un mauvais pressentiment. On essayait
toujours de deviner l’objectif de la mission avant
qu’il ne soit annoncé lors du briefing et quelqu’un
a dit que ce serait Paris. J’ai dit « Si c’est
Paris, je n’en reviendrai pas ». J’ai brûlé toutes
les lettres que j’avais gardées et j’ai donné une
partie de mes affaires pour m’en débarrasser.
Le matin suivant, lors du briefing, j’étais surpris
lorsqu’ils ont annoncé que la cible serait le pont
ferroviaire de Maisons-Laffitte près de Paris.
C’était la 58ème mission du groupe et ma
31ème. Le gars avec qui j’avais essayé de
deviner la cible la veille au soir m’a lancé un
regard étrange. On nous a dit que l’objectif serait
bien défendu et qu’on pouvait s’attendre à être pris
à partie par des chasseurs. Je ressentais une
sensation bizarre jusqu’au décollage. Puis, comme
tout se passait bien, je me disais que peut-être ça se
irait bien finalement.
Alors que nous approchions de la cible, nous
pouvions voir que c’était bien défendu et qu’il y
avait beaucoup de flak faisant comme des petits
nuages noirs dans un ciel qui était par ailleurs
dépourvu de nuage. Le passage sur la cible devait se
faire à 9000 pieds (2700m) et c’était là que se
trouvait la flak. Nous volions en deuxième position
à gauche et nous traversions le tir de flak le plus
intense que nous avions jamais traversé. L’avion en
position numéro 3 a été touché et a disparu. Le nez
de l’avion de tête a viré au rouge juste au moment
où il a lâché ses bombes. Les autres avions ont
lâché leurs bombes au même moment et notre mission a
été un succès.
Nous avons immédiatement viré à gauche et le moteur
gauche été touché par la flak au milieu de cette
manœuvre. Knox a crié que c’était en feu. Le moteur
droit était touché également. La pression
hydraulique était tombé à zéro et nous ne pouvions
pas fermer les portes de la soute des bombes. On
perdait de l’altitude au rythme de 1000 pieds (300m)
par minute et nous ne pouvions plus restés dans la
formation. Arrivés à 6000 pieds, nous avons décidé
d’évacuer l’avion.
J’ai tiré le signal d’alarme et j’ai reculé mon
siège pour permettre au bombardier de sortir du nez
de l’appareil et ensuite je l’ai suivi jusqu’à la
soute aux bombes. Il a sauté et j’ai constaté que le
reste de l’équipage et le cameraman avait déjà
sauté. Je suis revenu vers le cockpit, prenant note
au passage des dommages au compartiment radio. Il y
avait un trou de 8 pouces (20cm) de diamètre dans le
plancher et aussi au plafond sur le côté gauche. De
retour dans le cockpit, j’ai dit à Knox que tout le
monde avait sauté et je lui ai rendu compte des
dommages. J’ai attrapé mon parachute derrière mon
siège. Il s’est emparé du sien et nous nous sommes
dirigés vers la soute aux bombes. Nous avons enfilé
nos parachutes. Je me souviens avoir vérifié mon
parachute pour vérifier qu’il n’y avait pas de trou.
J’ai toujours été angoissé à l’idée qu’un jour je
devrais utiliser mon parachute et que je me rendrais
alors compte qu’il était endommagé. J’en fais encore
des cauchemars mais moins souvent ces derniers
temps.
Nous sommes regardés quelques secondes et nous avons
sauté. J’ai vu l’avion poursuivre sa descente à ma
gauche avec les moteurs encore en feu. J'ai
tournoyé dans les airs pendant un temps qui m'a paru
assez long et pour arrêter les pirouettes, j'ai tiré
sur la corde et j'ai prié. Le parachute s'est ouvert
et j'ai touché le sol dans un champ à l'intersection
d'une voie de chemin de fer et d'une grande route.
Je me souviens comme je me sentais hébété debout
dans ce champ labouré avec mon parachute étalé
devant moi et me sentant si seul. C'était tellement
calme. C'est comme dans une sorte de rêve. Je
pouvais voir une colonne de camions au loin et des
gens qui travaillaient dans le champ mais ce qui m'a
frappé c'est le calme.
J'ai immédiatement roulé mon parachute et j'ai
essayé de le cacher dans une haie. J'avais perdu mes
bottes durant le saut en parachute mais je ne m'en
suis rendu compte qu'après avoir commencé à marcher
dans le champ labouré. Il y avait une douzaine de
français qui travaillaient dans le champ et je leur
ai demandé dans un français que l'on m'avait
enseigné à l'armée: “ou et les Allmange”. Je crois
que c'était sensé vouloir dire "Où sont les
allemands?". Ils ont tous étendu leur bras et les
ont fait tourner pour indiquer qu'ils étaient tout
autour.
Il y avait un convoi de véhicules allemands sur la
grande route et deux camions ont quitté la route et
se sont dirigés dans ma direction. Alors que je me
demandais si je pouvais me défendre avec mon
pistolet, un violent coup asséné dans le milieu de
mon dos m'a fait tombé à genoux. Lorsque je me suis
retourné, j'ai vu un soldat allemand pointant un
pistolet vers ma tête. Il venait de la tour de
signalisation ferroviaire. Il m'a obligé à me
relever et tenant son pistolet pointé dans mon dos,
il m'a fait marcher environ 50 pieds à travers
champs jusqu'aux camions qui attendaient. Dans
chaque camions, il y avait 16 allemands avec leurs
fusils pointés vers moi. Un véhicule similaire à une
Jeep avec à son bord un chauffeur et un major SS
s'est dirigé vers moi et le major SS en est
descendu. Il m'a formellement fait prisonnier et m'a
dit dans un anglais presque parfait “for you the
war is over” ("pour vous la guerre est terminée").
Un officier allemand grand et blond avec un uniforme
noir et une tête de mort sur son couvre-chef a
quelque chose d'intimidant.
Il m'a demandé de dégainer mon pistolet et de lui
remettre. Il l'a regardé et a sourit en disant "
c'est un très beau souvenir et je vous en remercie".
Il m'a dit de m'assoir à côté de lui sur la
banquette arrière du véhicule. Les soldats se sont
mis à crier et il s'est levé et leur a dit quelque
chose en allemand qui devait signifier "taisez-vous!"
car ils se sont tus. Alors qu'on a commencé à
rouler, il m'a dit qu'ils voulaient qu'il me relâche
afin qu'ils puissent avoir l'occasion de me tirer
dessus mais comme je lui avais donné un si beau
souvenir, il se devait de m'emmener dans le village
et me remettre à la garnison allemande. Nous sommes
parti vers le village. Je crois qu'il l'a appelé Elizabethville ou quelque chose du genre.
Je ne savais que penser. Je me souvenais bien avoir
entendu lors de l'un de nos cours de formation que
si jamais vous êtes fait prisonnier, vous demeurez
un soldat américain et l'ennemi demeure l'ennemi.
Aussi longtemps que vous demeurez en vie, ils
doivent avoir quelqu'un pour vous garder. Cette
personne qui vous garde ne sera pas sur le front à
se battre contre nos troupes. C'est votre devoir
d'essayer de vous évader, mais pas au péril de votre
vie. Morts nous ne représentions plus de menace pour
eux. Nous devions nous engager à harceler l'ennemi
dès que l'opportunité se présentait et les maintenir
occupés autant que possible.
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Chapitre 1:
Barksdale Field
Chapitre 2: Angleterre
Chapitre 3:
Captivité
Chapitre 4:
Sagan
Chapitre 5:
La marche
Chapitre 6:
Moosburg
Chapitre 7:
Libération
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