Seconde Guerre Mondiale
 Soldats allemands emmenant un prisonnier américain
 
 

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Les mémoires d'Ossian Arthur Seipel


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Chapitre 4

Sagan

Après un court voyage depuis le dulag, nous sommes arrivés devant une zone clôturée comprenant quelques bâtiments en bois et de nombreuses grandes tentes. L’endroit était géré par un groupe de sergents britanniques sous la supervision des allemands. C’est là que les officiers et les hommes du rang étaient séparés et répartis dans différents camps. Notre destination était Stalag Luft III à Sagan (Allemagne). Notre moyen de transport était les fameux wagons de marchandise français « quarante et huit » (prévus pour transporter 40 personnes et 8 chevaux).

 

Plaque d'identification du Lt Ossian Seipel qui lui a été délivrée par l'armée allemande
La plaque à vache du 2nd Lt Ossian Arthur Seipel qui lui a été remise par les allemands. Kgf est l'abbréviation de Krieggefangener (prisonnier de guerre en allemand) -  Photo Lynn Dobyanski

Quelques jours plus tard, nous sommes arrivés au Stalag Luft III. La traduction littérale est « Camp Air 3 ». Luft III se trouvait à Sagan en Silésie, une petite ville sur la rivière Bobr, un tributaire de l’Oder, à environ 90 miles (144km) au sud-est de Berlin et 70 miles (132km) au nord-ouest de Breslau (Pologne). Stalag Luft III était constitué de 5 camps, contenant environ 2000 prisonniers chacun. Le camp du milieu était pour les américains et était le plus vieux. Le camp situé à l’est était principalement occupé par des britanniques et était séparé du camp central par une barrière en bois de 10 pieds (3m) de haut. Tous les camps étaient entourés par le même type de clôtures et de miradors espacés de telle sorte que la lumière des projecteurs de l’un prenne le relais de la lumière du projecteur du mirador suivant, de sorte qu’il n’y ait aucune zone sombre où l’on aurait pu se dissimuler. Un fil de fer était tendu à un pied au-dessus du sol et faisait le tour du camp à une distance d’environ 30 pieds (9m) de la clôture délimitant ainsi une « verboten zone » où tout contrevenant s’attirerait inévitablement une balle dans la boite crânienne.

A l’ouest du camp central, se trouvait une zone destinée aux gardes allemands et à leurs bureaux. Ils disposaient de 16 baraquements et plusieurs autres bâtiments ce qui laissait supposer qu’ils étaient assez nombreux. Il y avait une « verboten zone » mais pas de palissade en bois et on pouvait voir lorsque les gardes avaient de la compagnie féminine. Les allemands employaient des femmes qui savaient lire l’anglais comme censeur et elles étaient également logées dans cette « Kommandantur ». Pendant l’été, certaines de ces femmes se faisait bronzer au soleil à des endroits où elles pouvaient être vues par les « kriegies » (abréviation de l’allemand Krieggefangener = prisonnier de guerre) qui s’approchaient de la barrière et les contemplaient. Lorsque le General Vanaman est arrivé, il a parlé aux allemands pour leur demander que les femmes se fassent bronzer loin de nos regards. Les femmes ont cependant mis un point d’honneur à continuer à passer fièrement sous nos yeux le plus souvent possible. Elles semblaient aimer se faire déshabiller des yeux par leur audience admirative. A l’ouest du camp réservé aux allemands, se trouvait le camp nord pour la RAF et les camps sud et ouest étaient pour d’autres américains. Au nord du camp ouest se trouvait une zone de stockage pour les colis de la croix rouge. Au nord du camp central se trouvait le Vorlager avec des baraquements pour des prisonniers russes, des stocks de vêtements, de charbon, l’infirmerie et des bains que nous aurions aimé pouvoir utiliser.

Knox et moi nous nous sommes retrouvés dans le camp central, baraquement 5A. On nous a photographié et on nous donné des « plaques à vaches » pour prisonnier de guerre. On nous a aussi donné deux couvertures allemandes très fines, un couvre-matelas, une taie d’oreiller, une cuillère, une fourchette, un couteau tous portant une swastika sur la poignée, un bol et une petite serviette allemande. C’était notre nouvelle maison. Nous étions des "kriegies" abréviation de "Kriegsgefangener", prisonnier de guerre. Les anciens kriegies tournaient autour, cherchant quelqu’un qu’ils pourraient connaitre. Un nouveau groupe de kriegies venant d’arriver était surnommé « une purge ». Je ne sais pas pourquoi mais c’était ainsi.

Notre baraquement était un grand bâtiment avec une cuisine à chaque extrémité et une pièce pour le chef du baraquement de l’autre côté de l’une des cuisines. A proximité de la cuisine se trouvait une latrine qui devait être utilisée uniquement la nuit après la fermeture du baraquement. La latrine était une grande bassine et un kriegie a fait un urinoir en perçant un trou dans le sol. Le reste du bâtiment était divisé en deux par un mur ce qui donnait deux grandes pièces faisant chacune 30 pieds par 65 pieds (9m par 19m) et chaque pièce avait un poêle Nuremberg pour le chauffage. L’espace libre était occupé par 5 rangées de lits empilés sur 3 étages. Une table avec deux bancs servait pour les repas, pour jouer aux cartes etc. Il y avait environ 200 hommes par baraquement.

Je me trouvais avec Tom Ledgerwood, Howard Day, Ted Snyder, Joe Columbo, Don Murry, Luther Lau, Freal Knox, Tracy Beagle, et quelqu’un qui s’appelait Brock, et quatre autres personnes dont j’ai oublié le nom.

Durant les premières semaines, nous les nouveaux kriegies étions traités avec suspicion et on nous posait des questions sur tout afin de vérifier si nous étions réellement qui nous disions être et que nous étions bien de là dont nous disions venir. Lorsqu’ils ont découvert que j’étais dans la classe 43-J, ils ont cru que j’étais un imposteur car ils n’avaient jamais rencontré quelqu’un de si jeune. Lorsque j’ai dit que j’étais de Chicago Heights, certains ont compris « Chicago ». Puis ils ont trouvé quelqu’un de Thornton (Illinois). Ils l’ont amené et il m’a posé plein de questions sur le lycée etc et il a ainsi pu confirmer que j’étais effectivement de là-bas. Tout le monde était considéré allemand jusqu’à preuve du contraire.

Tom Ledgerwood, notre chef de section, a vérifié nos besoins en terme de vêtements et a transmi l’information à l’officier en charge des fournitures. J’ai eu une paire de chaussures, un peu petite mais c’était mieux que rien. J’ai aussi reçu une chemise et un pantalon. C’était mon uniforme d’été. Le simple fait d’avoir des chaussures me remontait le moral ; il suffisait de peu de chose pour remonter le moral étant donné les circonstances.

Le camp du milieu était constitué d’une douzaine de baraquements, quatre latrines, un bâtiment grand comme la moitié d’un baraquement pour la cuisine, une buanderie, un théâtre (de la même taille qu’un baraquement mais aménagé par les kriegies de manière à ressembler à un théâtre, avec une scène et des coulisses). Tous les bâtiments étaient de construction médiocre et se ressemblaient. Dans le même bâtiment que le théâtre se trouvait également les logements des Senior Allied Officer (SAO) : Officiers Supérieurs Alliés. Les toilettes était constituées de longs bancs avec un trou tous les 5 pieds (1m50) placés au-dessus d’une grande tranchée et qui pouvaient accommoder 15 personnes à la fois. Ils jetaient régulièrement de la soude pour réduire l’odeur mais ça sentait mauvais malgré tout. La “Schitzen Panzer Fuhrere” venait régulièrement pomper le contenu de la tranchée. Des chevaux tirait une gigantesque charrette citerne en bois (la « charrette à miel ») jusqu’à chaque toilette et ils pompaient avec une petite pompe diesel.

Dans la buanderie se trouvait une sorte d’évier très long avec un long tuyau suspendu à hauteur d’homme sur toute la longueur de ce long évier. Tous les 5 pieds (1m50) un tuyau avec un robinet descendait du tuyau principal. C’était là que nous pouvions nous laver, laver nos vêtements et tout autre objet qui avait besoin d’être lavé. L’eau était froide toute l’année mais la ration de fuel était tellement faible qu’elle était uniquement utilisée pour la cuisine et pour le chauffage des bâtiments.

Le camp central et le camp est étaient les plus vieux et étaient à l’origine pour les aviateurs de la RAF et de la RCAF (armée de l'air canadienne). Après que nous soyons entrés en guerre, les américains ont d’abord été hébergés avec les britanniques jusqu’à ce que les allemands construisent d’autres camps et séparent les prisonniers en fonction de leurs nationalités. Je ne peux rien dire des autres camps car je n’ai jamais eu l’occasion de les voir mais j’imagine que la vie y était la même que dans le camp du milieu.

Il y avait un bassin incendie au milieu des baraquements. C’était un bassin en briques faisant environ 30 pieds par 30 pieds (9m par 9m) et d’une profondeur de 5 pied (1m50) rempli d’eau pouvant servir en cas d’incendie. Tout le long du périmètre du camp, le long du fil de fer délimitant la « verboten zone », les prisonniers pouvaient faire du jogging, se promener ou discuter sans craindre d’être espionnés. Le périmètre faisait environ ¾ de mile (1200m) et il y avait toujours du monde.

Bien que sous contrôle de l’armée de l’air allemande, le camp était géré comme une base militaire par des officiers américains. Il y avait un officier en charge de toutes les tâches qui devaient être accomplies. Le comité de renseignements était un comité secret et était connu sous le terme « Big X ». Les plans d’évasion devaient tous être approuvés par « Big X » mais peu étaient approuvés car beaucoup étaient des idées en l’air qui n’avaient pas fait l’objet de beaucoup de réflexion. Si un plan d’évasion était considéré comme suffisamment bon, il recevait toute l’attention et tout le support du camp dans son ensemble mais restait coordonné par « Big X ». Après la grande évasion par les britanniques en Mars, s’évader n’était plus un jeu et pouvait se traduire par une balle en pleine tête.

Je me suis souvenu de ma boussole que j’avais réussi à conserver malgré les fouilles et j’en ai fait part à Ledgerwood. Il a passé le mot au X committe et ils m’ont appelé pour m’interroger. Ils voulaient seulement savoir comment j’avais fait pour la garder sans être découvert. Ils ont ri à propos du mouchoir sale mais ont suggéré que c’était une bonne stratégie puisque ça avait marché.

Les interactions avec les allemands étaient limitées à quelques hommes qui parlaient couramment allemand et pouvaient négocier pour passer en contrebande des appareils photo, de la pellicule ou tout autre article qui pouvait être utile au X committee. L’objectif principal du SAO était de maintenir le moral au niveau le plus élevé possible. La seule chose qui était exigée est que l’on se rase tous les jours. Il y avait une inspection tous les samedis après l’appel.

La YMCA (Young Men's Christian Association = UCJG= Union Chrétienne de Jeunes Gens) fournissait des équipements sportifs et on était tous encouragés à prendre part à des activités sportives. Ils fournissaient également des instruments de musique et un orchestre a été formé. C’était très bien et cela nous aidait moralement. Plusieurs organisations fournissaient des livres et des magazines, mais les magazines étaient censurés par les allemands et n’étaient donc pas d’un grand intérêt. Nous avions aussi des magazines allemands et des journaux lorsque les nouvelles étaient bonnes pour les allemands. Ils diffusaient également régulièrement les nouvelles allemandes.

Sous les baraquements, il y avait des tranchées faisant toute la longueur du bâtiment. Ces tranchées étaient utilisées par des gardes appelés « furets » et on les distinguait des autres gardes par leurs uniformes bleus. Ils écoutaient les conversations qui se tenaient dans les baraquements. Les furets avaient de longues tiges en acier qu’ils utilisaient pour vérifier les fissures dans le sol, la maçonnerie ou le ciment et qui pouvaient trahir la présence d’un tunnel.

J’étais un nouveau kriegie de bas rang et je ne pouvais donc pas me qualifier pour une tâche spécialisée et je n’étais pas au courant de ce qui se passait dans le camp. Je faisais juste ce qu’on me disait de faire et c’est ce que faisait la majorité d’entre nous. La vie dans le camp était très ennuyeuse et on sautait sur l’occasion dès qu’on nous proposait de faire quelque chose. Dans chaque baraquement, il y avait au moins une douzaine de gars qui passaient une heure par jour à regarder par la fenêtre de la cuisine et prenaient note du mouvement des allemands. Lorsqu’on pense que la même chose se déroulait dans chaque baraquement ainsi que dans les toilettes et le théâtre, on réalise que lorsque tous ces rapports étaient transmis au X committee, ils avaient une idée assez précise de là où se trouvaient les allemands à chaque instant. Ils pouvaient prévoir où les gardes et les furets seraient à chaque instant. Si quelqu’un remarquait un allemand entrant dans le baraquement, il criait immédiatement « Tally ho » et c’était transmis aux kriegies qui travaillaient pour le X committee. C’est arrivé à un point où les allemands eux-mêmes criaient « Tally ho » lorsqu’ils passaient la porte.

Quelque part dans le camp, il y avait une radio qui était conservée en pièces détachées et que l’on assemblait lorsqu’on pouvait le faire sans risque et cela permettait d’avoir les nouvelles de la BBC. Juste avant le dîner, deux fois par semaine, quelqu’un faisait le tour des baraquements et passait les nouvelles. Cela se passait au moment des repas pour ne pas trop attirer l’attention des furets. C’était généralement assez différents des nouvelles données par la radio allemande. Nous avions une carte de l’Europe sur le mur de la cuisine sur laquelle nous faisions figurer les lignes de front est et ouest telles que communiquées par la radio allemande. Elles étaient matérialisées par une ficelle tenues en places par des épingles. Après la réception des nouvelles de la BBC, le commandant du baraquement, plaçait une ficelle de couleur différente le long des points communiqués par la BBC. Cette dernière nous paraissait toujours nettement plus favorable. Un des furets était intrigué par les trous d’épingle dans la carte et a compris que nous recevions des nouvelles de l’extérieur. Cela a eu pour conséquence une fouille.

La totalité des prisonniers du camp central ont été sortis des baraquements et obligés de se tenir en formation pendant que les furets fouillaient la totalité du camp à la recherche de la radio. Lorsqu’ils ont compté les prisonniers, nous avons rendu la vie difficile au Hauptman en nous décalant d’une rangée ou deux. Il a fallu recompter plusieurs fois et il a fallu l’assistance de nombreux soldats armés pour nous calmer. Ils n’ont pas pu trouver la radio mais ils ont trouvé quelques stocks de sucre et de lait en poudre. Nous avions l’habitude de ces fouilles puisqu’elles avaient lieu au moins une fois par semaine.

La journée commençait lorsqu’un des gardes allemands levait les barres qui bloquaient la porte afin de pouvoir l’ouvrir. Un coup de sifflet retentissait aussitôt pour nous réveiller. Au deuxième coup de sifflet, tout le monde se dirigeait vers la plaine et nous nous alignions en rangées de 5 hommes en attendant les officiers allemands. Les allemands comptaient les rangées de 5 hommes et lorsque l’appel était terminé, l’officier allemand donnait son OK au SAO pour rompre les rangs. Deux milles hommes rompaient les rangs simultanément et partaient dans toutes les directions pour une nouvelle journée d’attente.

Les larbins prenaient les “kein-trink-wassers” (« eau non potable » car les pichets étaient en plomb) et les emmenaient à la cuisine pour les remplir avec de l’eau chaude pour le café du matin. Pour le petit déjeuner, nous avions une tasse de « nescafé » et du pain noir (à la sciure). Certains matins, nous avions même un peu de confiture.

Nous avions la chance d’avoir parmi nous quelqu’un qui adorait faire la cuisine. Ted Snyder était notre cuistot. Sa famille possédait plusieurs restaurants à Los Angeles et il était donc le choix idéal. Les larbins qui épluchaient les pommes de terre, lavaient la vaisselle, aidaient le cuistot à maintenir le feu était désignés pour la journée à tour de rôle par tirage au sort. Le résultat du tirage au sort était affiché sur le panneau d’affichage et on était supposé le vérifier tous les jours mais en réalité ce n’était pas nécessaire. Tout le monde savait quand était son tour et personne ne pouvait oublier.

Certains kriegies avaient été enseignants avant la guerre et d’autres avaient fait du business ou bien avaient des connaissances sur un sujet ou un autre et ils étaient disposés à partager leurs connaissances avec les autres prisonniers. C’est ainsi qu’a été créée la « Sagan University ». N’importe qui pouvait s’inscrire et assister aux meetings et aux cours qui se tenaient généralement dans la bibliothèque. C’était quelque chose à ne pas rater.

Il y avait également un groupe d’acteurs qui programmaient, répétaient et jouaient pour tout le camp. Cela prenait beaucoup de temps et demandait beaucoup de travail et cela donnait la chance aux kriegies d’acheter des habits et des fournitures pour le théâtre qui auraient autrement été considérés comme de la contrebande. La plupart des articles achetés étaient utilisés par le X committee pour fabriquer des vêtements en vue d’une éventuelle évasion. Les kriegies ont découvert que ce n’était pas trop « verboten » de coudre des vêtements dans la mesure où c’était pour une pièce de théâtre.

La YMCA et d’autres organisations fournissaient des livres à l’attention des prisonniers. Les livres les plus populaires étaient fort demandés et il fallait s’inscrire sur une liste d’attente pour en avoir un pour une durée de deux jours.

Nous passions beaucoup de temps à jouer aux cartes. J’ai même essayé d’apprendre à jouer au bridge mais je n’ai pas réussi à m’y intéresser. C’est probablement une bonne chose car la plupart des joueurs de bridge en arrivaient à se battre. Le poker était populaire mais on ne pouvait jouer que si on avait des cigarettes en guise de mise. Pour les non-fumeurs cela ne posait pas de problème mais les gars comme moi avaient un choix à faire. En général le désir de fumer l’emportait.

J’ai pu récupérer du bois et je passais beaucoup de temps à sculpter. J’utilisais un couteau allemand qui avait besoin d’être aiguisé régulièrement sur une pierre à aiguiser qui passait d’un baraquement à un autre.

Le papier toilette est un article auquel on prête habituellement peu d’importance mais si vous avez l’habitude d’en avoir, en disposer est crucial. Les allemands fournissaient un carré de 4 pouces par 4 pouces par jour (10cm x 10cm) et ce n’était pas suffisant. La croix rouge a envoyé du papier toilette américain qui a été rationné par le SAO à quatre carrés par jour. On a vite appris que le papier journal lorsqu’il est coupé en carré de 10cm x 10cm et froissé pour l’assouplir était tout à fait convenable pour cet usage.

La Croix Rouge nous fournissait également tous les habits en sus de ceux que nous portions lors de notre capture. Afin de rester propre, nous devions emprunter des habits lorsqu’on les lavait. Le commandant du bloc avait un pantalon, une chemise et des chaussettes qui pouvaient être utilisés par quiconque avait besoin de laver son linge. La liste d’attente était longue.

Le pain noir à la sciure avait meilleur goût lorsqu’il était grillé mais il fallait se bagarrer avec la foule pour pouvoir approcher le poêle et le faire griller sur le métal. Les tranches de pain étaient ensuite posées sur la table et tout le monde assistait à l’étalage de la confiture. Un bon cuistot étalait la confiture suffisamment épais pour couvrir le pain mais suffisamment finement pour qu’on puisse encore voir le pain à travers la couche de confiture. On tirait au sort celui qui prenait la première tranche et ainsi de suite. Celui qui avait étalé la confiture prenait généralement la dernière tranche. C’est ainsi que tout était partagé.

Après le petit déjeuner, nous recevions notre “kein trink wasser” et nous partions chercher de l’eau chaude pour faire la vaisselle. Après que les tasses et les cuillères aient été lavées, nous partagions la soupe à l’orge qui était distribuées 3 fois par semaine en milieu de matinée. C’était un bonus et cela signifiait généralement que le déjeuner serait limité à des toasts et peut-être de la marmelade et du thé.

Nous étions supposés recevoir un colis de la croix rouge chaque semaine pour suppléer les rations allemandes. Ce fut réduit à une demi-ration lorsque je suis arrivé. En conséquence, notre cuistot a été requis de préparer les repas les plus appétissants possible avec le peu de nourriture disponible et la meilleure imagination du monde. Ted Snyder remplissait admirablement cette tâche.

Les colis de nourriture nous étaient envoyés par les britanniques, les américains et les canadiens. Le poids total de chaque colis était 10 livres.

Les colis britanniques contenaient du lait condensé, des raviolis, de la soupe aux légumes, des sardines, du fromage, de la margarine, quatre biscuits, des œufs déshydratés, du quaker, du cacao, du thé, des fruits secs, du sucre, une barre de chocolat et une barre de savon.

Les colis américains contenaient du lait en poudre (Lkim), des saucisses, du corned beef, du pâté de foie, du saumon, de la margarine, des biscuits, du nescafé, de la confiture à l’orange, des pruneaux ou des raisins, 2 barres de chocolat, 2 barres de savon et 5 paquets de cigarettes.

Les colis canadiens contenaient du lait en poudre, des saucisses, du corned beef, du saumon, du fromage, des crackers, du café en poudre, de la confiture, des pruneaux, du sucre, une barre de chocolat et une barre de savon.

Ted était particulièrement doué pour la préparation des desserts. On réduisait les crackers en poudre pour en faire une sorte de farine. Il mélangeait cette farine avec du cacao, de la margarine, du sucre, de l’eau et un peu de dentifrice canadien. Il battait vigoureusement avant de la passer au four et obtenait une bonne imitation d’un gâteau. Le gâteau était ensuite partagé équitablement et chacun se servait dans un ordre déterminé par tirage au sort. Du café était servi avec le gâteau et ensuite nous avions droit à une cigarette. Le cuistot recevait de nombreux compliments. Il fallait s’assurer qu’il reste de bonne humeur.

La période estivale était supportable si vous parveniez à sortir de votre esprit le fait que vous étiez prisonnier. Le baseball et le volleyball meublait une bonne partie de notre temps. Je ne me souviens pas avoir été importuné par les moustiques mais les mouches nous piquaient fréquemment. Rester propre était plus facile pendant l’été même si l’eau de la douche restait glaciale. Quelques gars ont essayé de cultiver un potager mais les mains vertes étaient rares.

Les allemands nous fournissaient des rations de “briquettes” (une forme compressée de charbon et de pétrole d'après ce que j'ai cru comprendre) destinées à être utilisées comme combustible dans le poêle et pour le chauffage. En hiver, il fallait décider ce qui était prioritaire : la cuisine ou bien le chauffage.

Je n’avais pas de manteau, donc j’ai cousu ma chemise d’été sur ma veste A2 et j’ai rempli l’espace entre les deux avec du papier. C’était encombrant mais c’était efficace. Nous avons tous cousu nos deux couvertures allemandes ensemble et mis quelques couches de papier entre les deux. Pour protéger nos pieds, nous imbibions nos chaussures de GI avec de la margarine fondue qui était rance de toutes manières. Je me protégeais les oreilles du froid avec de vieilles chaussettes.

Vers la fin juillet, nous avons eu un nouveau SAO. C’était un général brigadier nommé Vanaman. Je ne sais pas dans quelles circonstances il a été abattu, mais toujours est-il qu’il est devenu notre SAO. D’après la rumeur, il avait été « Air attaché » à Berlin avant la guerre. C’était probablement vrai car beaucoup d’officiers de haut rang de l’armée de l’air allemande venaient lui rendre visite. La vie pour nous n’a pas beaucoup changé à ceci près que la discipline militaire a été renforcée.

Le 12 Octobre (Columbus Day), j’ai reçu ma première lettre des Etats-Unis. C’était une lettre de ma mère et elle me parlait avec enthousiasme du merveilleux bébé que j’avais mais aucun indice dans la lettre ne m’a permis de déterminer si c’était un garçon ou une fille. Je pensais que le bébé allait naître en juillet et j’étais vraiment heureux de savoir que c’était un bébé merveilleux et j’étais impatient de savoir si c’était un garçon ou une fille. En novembre, j’ai reçu un télégramme de Lois via la Suisse me donnant le nom, le sexe et le poids du bébé. En décembre, j’ai reçu une photo prise lorsque le bébé avait 6 semaines. Elle semblait furieuse mais c’était mon bébé et sa photo a fait le tour du baraquement.

Nous avions le droit d’écrire deux cartes et une lettre par mois. Les cartes faisaient environ 3,5 pouces par 5 pouces (9cm x 12cm) et les lettres environ 5 pouces par 12 pouces (12cm x 30cm) et nous pouvions écrire d’un seul côté c'est-à-dire du côté avec 12 lignes équidistantes. Tout commentaire trop pessimiste sur la vie dans le camp était noirci par la censure. Il était difficile d’écrire une lettre qui puisse passer à travers la censure.

Le jour où j’ai reçu la lettre de ma mère, nous avons eu un appel spécial. Chaque kriegie devait se présenter à l’appel avec son couteau, sa fourchette, sa cuillère, son bol et sa serviette. Quelques couteaux manquaient car ils avaient été transformés en scie et cela a entrainé une fouille et une journée supplémentaire d’appels successifs.

Je passais beaucoup de temps à observer la “charrette à miel”, pensant que ce serait un bon moyen de fuir le camp. Après avoir pompé les excréments, le gros tuyau de 4 pouces (10cm) était rangé sur le côté gauche de la charrette et il partait ensuite directement vers la porte d’entrée arrière qui était surveillée par un seul garde. Le garde ouvrait généralement la porte et saluait. Du côté droit du wagon, il y avait une longue boite à outils et l’espace entre cette boite à outil et la citerne était assez large pour qu’un homme s’y allonge. L’arrivée d’une nouvelle « purge » a attiré l’attention des gardes et je ne pouvais pas laissé passer cette chance. J’ai donc sauté sur la charrette, je me suis caché derrière la boîte à outil et je me suis glissé sous un tarpaulin. Le chauffeur est revenu et s’est dirigé vers la porte d’entrée. Je pensais que ça allait marcher mais un des gardes m’a vu et il a fait arrêter la charrette et a collé le bout du canon de son fusil sur mon visage. Je suis descendu du wagon et j’ai attendu avec le garde que quatre autres gardes m’emmènent au trou.

Deux jours passés au trou avec du pain et de l’eau, pas de banc, pas de chauffage a eu un effet mémorable sur moi. Je me suis juré que je n’aurai plus jamais ni froid ni faim. Il me fallait de la nourriture et un bon endroit pour dormir. J’ai été encore plus marqué par l’engueulade que j’ai reçue du Colonel Spivey et de Sam Magee, le chef du bloc. Ce que j’avais fait était vraiment stupide. Je le savais bien mais il fallait que je tente ma chance. Si j’étais parvenu à sortir du camp, je n’ai pas la moindre idée de ce que j’aurais fait. Etant si loin à l’intérieur de l’Allemagne et ne connaissant pas un mot d’allemand, il m’aurait été impossible de rejoindre les forces alliées.

Des représentants des puissances protectrices, suisses ou suédois, ont visité le camp début novembre. Ils étaient les représentants de pays neutres et étaient censés vérifier régulièrement si les conditions de détentions étaient conformes à la convention de Genève. Nous avions été informés à l’avance et nous avions même reçu de belles couvertures bien épaisses le matin de leur visite. Dès que les représentants des puissances protectrices ont quitté les lieux, les couvertures ont été reprises et emmenées hors du camp.

Le commandant allemand a émis un ordre disant qu’on ne stockerait plus de nourriture. On ne pouvait garder que des rations pour une journée. Si des excédents de nourriture étaient découverts, ils seraient confisqués. Cela signifie que nous devions immédiatement manger tous les stocks de nourriture que nous avions conservés pour une éventuelle évasion, pour les mauvais jours ou pour une occasion spéciale. Ce fut un grand jour pour les cuistots ! On a fait une petite fête pour la naissance de Lynn. Il y a eu une grande fête dans le bloc et tout le monde était invité. On a même eu droit à un spectacle de jazz et pour ceux qui voulait boire, un peu d’alcool à base de raisin sec fermenté.

Lorsque des boites de conserves entraient dans le camp, les allemands les perçaient pour nous empêcher de les stocker en vue de nous en servir pendant une évasion. Nous avons essayé de boucher les trous avec de la cire ou de la margarine mais ça ne faisait que ralentir un peu le processus de décomposition. Les ordres du Reich stipulaient qu’une boite vide de la croix rouge avec des boites de conserves vides soit rendue avant qu’un nouveau colis soit livré.

Le SAO a suggéré que chaque kriegie fasse en sorte d’être aussi en forme que possible et se prépare à l’éventualité où on nous sortirait du camp. Il était difficile de prévoir ce que les allemands allaient faire. Certains pensaient que nous allions tous être exécutés si les russes s’approchaient. D’autres spéculaient qu’ils allaient nous emmener avec eux comme otages. Nous étions obligés de parcourir le périmètre du camp au moins cinq fois par jour.

Les volets étaient fermés à la tombée de la nuit et les portes d’entrée au baraquement étaient barrées. L’hiver la nuit tombait vers 4h45. Mon lit se trouvait au troisième étage et loin de la fenêtre. L’air devenait vite vicié. Le feu du poêle s’éteignait généralement au bout d’une heure et le vent glacial s’infiltrait rapidement à travers les fissures du mur et les fenêtres.

Avant de s’endormir, on se demandait s’il y aurait un autre raid sur Berlin pendant la nuit. Berlin se trouvait à environ 90 km au nord de Sagan et on entendait assez bien les grosses bombes lâchées par la RAF. Lorsqu’on entendait ou sentait l’explosion des bombes on essayait de se faire une idée de l’ensemble de la mission. Si le bombardement avait lieu au sud de Berlin, cela déclenchait les sirènes d’alarme du camp et tous les projecteurs étaient éteints. Le camp s’emplissait immédiatement de soldats allemands pour contrer toute tentative d’évasion. Une fois l’alerte passée, la porte s’ouvrait et quelques allemands filaient à travers le baraquement pour vérifier que tout était normal.

Lorsque le calme revenait, on pouvait repenser aux jours heureux passés à la maison. J’essayais d’imaginer ce que faisait Lois et comment elle se débrouillait avec le bébé et ses nouvelles responsabilités. Je pouvais voir son visage lorsqu’elle riait. Je me promettais que si je parvenais à la retrouver, je ne la quitterais plus jamais. J’essayais de m’imaginer la tenant dans mes bras jusqu’à ce que je m’endorme.

Il faisait très froid pendant l’hiver. Les gardes qui montaient la garde près des portes du camp devaient rester dehors toute la journée et plaçaient de la paille autour de leurs bottes pour éviter un contact direct avec la neige; leurs bottes restaient ainsi sèches. Ils avaient aussi de grands manteaux qui descendaient jusqu’au sol et avec des cols qui montaient jusqu’au sommet de leurs têtes. Leurs gants ressemblaient à des gants de boxes.

Quelqu’un s’est arrangé pour obtenir d’un garde une petite branche de sapin et nous avons ainsi pu avoir un sapin de noël. On l’a décoré avec du papier étamé provenant de boîtes de cigarette et nous avons découpé des étoiles dans du papier. Nous avons fait la fête pour Noël et nous avons eu du gâteau.

A l’autre extrémité du bloc, il y a eu une fête pour le nouvel an avec des chansons et de l’alcool de raisin sec. Nous y avons tous pris part et nous avons goûté l’alcool dans l’espoir que cela nous aiderait à oublier le pétrin dans lequel nous nous trouvions mais ça n’a pas marché.

Le 27 janvier vers 9h30 du soir, on nous a dit de nous tenir prêt à quitter le camp dans les 30 minutes. Cela paraissait difficile de croire que nous allions réellement sortir. Nous allions marcher et ne rien emmener sauf des vêtements. Quiconque qui tenterait de s’évader serait abattu. Quiconque tomberait serait abattu.

J’ai rassemblé tous ce que je pensais pouvoir emporter, je l’ai roulé dans une couverture pour pouvoir le porter sur mon dos. Nous nous sommes mis à manger tout ce que nous pouvions. Je crois que tout le monde avait gardé un mélange de lait en poudre, de sucre et de pruneau précisément pour ce genre d’urgence.

Nous nous sommes ensuite allongés sur nos couchettes en attendant les ordres des allemands. On nous a rassemblés en dehors des baraquements à deux ou trois reprises avant que nous sortions effectivement du camp. On nous a autorisé à nous rendre jusqu’au bâtiment où était stockés les colis de la croix rouge et à emmener tous ce que nous pouvions. C’est incroyable la quantité de colis qui étaient là alors qu’ils nous avaient donné une demi ration par jour. Quelques gars ont transformé des bancs en luge. Finalement, vers 3 heures du matin le 28 janvier, nous sortions par la porte principale.

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Chapitre 1: Barksdale Field

Chapitre 2: Angleterre

Chapitre 3: Captivité

Chapitre 4: Sagan

Chapitre 5: La marche

Chapitre 6: Moosburg

Chapitre 7: Libération

 

 

 

 

 

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