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Chapitre 4
Sagan
Après un court voyage depuis le dulag, nous
sommes arrivés devant une zone clôturée
comprenant quelques bâtiments en bois et de
nombreuses grandes tentes. L’endroit était
géré par un groupe de sergents britanniques
sous la supervision des allemands. C’est là
que les officiers et les hommes du rang
étaient séparés et répartis dans différents
camps. Notre destination était Stalag Luft
III à Sagan (Allemagne). Notre moyen de
transport était les fameux wagons de
marchandise français « quarante et huit »
(prévus pour transporter 40 personnes et 8
chevaux). |
|
La plaque à
vache du 2nd Lt Ossian
Arthur Seipel qui lui a été remise par les
allemands. Kgf est l'abbréviation de Krieggefangener (prisonnier
de guerre en allemand) - Photo Lynn Dobyanski |
Quelques jours plus tard, nous sommes arrivés au
Stalag Luft III. La traduction littérale est « Camp
Air 3 ». Luft III se trouvait à Sagan en Silésie,
une petite ville sur la rivière Bobr, un tributaire
de l’Oder, à environ 90 miles (144km) au sud-est de
Berlin et 70 miles (132km) au nord-ouest de Breslau
(Pologne). Stalag Luft III était constitué de 5
camps, contenant environ 2000 prisonniers chacun. Le
camp du milieu était pour les américains et était le
plus vieux. Le camp situé à l’est était
principalement occupé par des britanniques et était
séparé du camp central par une barrière en bois de
10 pieds (3m) de haut. Tous les camps étaient
entourés par le même type de clôtures et de miradors
espacés de telle sorte que la lumière des
projecteurs de l’un prenne le relais de la lumière
du projecteur du mirador suivant, de sorte qu’il n’y
ait aucune zone sombre où l’on aurait pu se
dissimuler. Un fil de fer était tendu à un pied
au-dessus du sol et faisait le tour du camp à une
distance d’environ 30 pieds (9m) de la clôture
délimitant ainsi une « verboten zone » où tout
contrevenant s’attirerait inévitablement une balle
dans la boite crânienne.
A l’ouest du camp central, se trouvait une zone
destinée aux gardes allemands et à leurs bureaux.
Ils disposaient de 16 baraquements et plusieurs
autres bâtiments ce qui laissait supposer qu’ils
étaient assez nombreux. Il y avait une « verboten
zone » mais pas de palissade en bois et on pouvait voir
lorsque les gardes avaient de la compagnie féminine.
Les allemands employaient des femmes qui savaient
lire l’anglais comme censeur et elles étaient
également logées dans cette « Kommandantur ».
Pendant l’été, certaines de ces femmes se faisait
bronzer au soleil à des endroits où elles pouvaient
être vues par les « kriegies » (abréviation de
l’allemand Krieggefangener = prisonnier de guerre)
qui s’approchaient de la barrière et les
contemplaient. Lorsque le General Vanaman est
arrivé, il a parlé aux allemands pour leur demander
que les femmes se fassent bronzer loin de nos
regards. Les femmes ont cependant mis un point
d’honneur à continuer à passer fièrement sous nos
yeux le plus souvent possible. Elles semblaient
aimer se faire déshabiller des yeux par leur
audience admirative. A l’ouest du camp réservé aux
allemands, se trouvait le camp nord pour la RAF et
les camps sud et ouest étaient pour d’autres
américains. Au nord du camp ouest se trouvait une
zone de stockage pour les colis de la croix rouge.
Au nord du camp central se trouvait le Vorlager avec
des baraquements pour des prisonniers russes, des
stocks de vêtements, de charbon, l’infirmerie et des
bains que nous aurions aimé pouvoir utiliser.
Knox et moi nous nous sommes retrouvés dans le camp
central, baraquement 5A. On nous a photographié et
on nous donné des « plaques à vaches » pour
prisonnier de guerre. On nous a aussi donné deux
couvertures allemandes très fines, un
couvre-matelas, une taie d’oreiller, une cuillère,
une fourchette, un couteau tous portant une swastika
sur la poignée, un bol et une petite serviette
allemande. C’était notre nouvelle maison. Nous
étions des "kriegies" abréviation de
"Kriegsgefangener", prisonnier de guerre. Les anciens
kriegies tournaient autour, cherchant quelqu’un
qu’ils pourraient connaitre. Un nouveau groupe de
kriegies venant d’arriver était surnommé « une
purge ». Je ne sais pas pourquoi mais c’était ainsi.
Notre baraquement était un grand bâtiment avec une
cuisine à chaque extrémité et une pièce pour le chef
du baraquement de l’autre côté de l’une des
cuisines. A proximité de la cuisine se trouvait une
latrine qui devait être utilisée uniquement la nuit
après la fermeture du baraquement. La latrine était
une grande bassine et un kriegie a fait un urinoir en
perçant un trou dans le sol. Le reste du bâtiment
était divisé en deux par un mur ce qui donnait deux
grandes pièces faisant chacune 30 pieds par 65 pieds
(9m par 19m) et chaque pièce avait un poêle
Nuremberg pour le chauffage. L’espace libre était
occupé par 5 rangées de lits empilés sur 3 étages.
Une table avec deux bancs servait pour les repas,
pour jouer aux cartes etc. Il y avait environ 200 hommes
par baraquement.
Je me trouvais avec Tom Ledgerwood, Howard Day, Ted
Snyder, Joe Columbo, Don Murry, Luther Lau, Freal
Knox, Tracy Beagle, et quelqu’un qui s’appelait
Brock, et quatre autres personnes dont j’ai oublié
le nom.
Durant les premières semaines, nous les nouveaux
kriegies étions traités avec suspicion et on nous
posait des questions sur tout afin de vérifier si
nous étions réellement qui nous disions être et que
nous étions bien de là dont nous disions venir.
Lorsqu’ils ont découvert que j’étais dans la classe
43-J, ils ont cru que j’étais un imposteur car ils
n’avaient jamais rencontré quelqu’un de si jeune.
Lorsque j’ai dit que j’étais de Chicago Heights,
certains ont compris « Chicago ». Puis ils ont
trouvé quelqu’un de Thornton (Illinois). Ils l’ont
amené et il m’a posé plein de questions sur le lycée
etc et il a ainsi pu confirmer que j’étais
effectivement de là-bas. Tout le monde était
considéré allemand jusqu’à preuve du contraire.
Tom Ledgerwood, notre chef de section, a vérifié nos
besoins en terme de vêtements et a transmi
l’information à l’officier en charge des
fournitures. J’ai eu une paire de chaussures, un peu
petite mais c’était mieux que rien. J’ai aussi reçu une
chemise et un pantalon. C’était mon uniforme d’été.
Le simple fait d’avoir des chaussures me remontait
le moral ; il suffisait de peu de chose pour
remonter le moral étant donné les circonstances.
Le camp du milieu était constitué d’une douzaine de
baraquements, quatre latrines, un bâtiment grand
comme la moitié d’un baraquement pour la cuisine,
une buanderie, un théâtre (de la même taille qu’un
baraquement mais aménagé par les kriegies de manière
à ressembler à un théâtre, avec une scène et des
coulisses). Tous les bâtiments étaient de
construction médiocre et se ressemblaient. Dans le
même bâtiment que le théâtre se trouvait également
les logements des Senior Allied Officer (SAO) :
Officiers Supérieurs Alliés. Les toilettes était
constituées de longs bancs avec un trou tous les 5
pieds (1m50) placés au-dessus d’une grande tranchée
et qui pouvaient accommoder 15 personnes à la fois.
Ils jetaient régulièrement de la soude pour réduire
l’odeur mais ça sentait mauvais malgré tout. La
“Schitzen Panzer Fuhrere” venait régulièrement
pomper le contenu de la tranchée. Des chevaux tirait
une gigantesque charrette citerne en bois (la
« charrette à miel ») jusqu’à chaque toilette et ils
pompaient avec une petite pompe diesel.
Dans la buanderie se trouvait une sorte d’évier très
long avec un long tuyau suspendu à hauteur d’homme
sur toute la longueur de ce long évier. Tous les 5
pieds (1m50) un tuyau avec un robinet descendait du
tuyau principal. C’était là que nous pouvions nous
laver, laver nos vêtements et tout autre objet qui
avait besoin d’être lavé. L’eau était froide toute
l’année mais la ration de fuel était tellement
faible qu’elle était uniquement utilisée pour la
cuisine et pour le chauffage des bâtiments.
Le camp central et le camp est étaient les plus
vieux et étaient à l’origine pour les aviateurs de
la RAF et de la RCAF (armée de l'air canadienne). Après que nous soyons entrés
en guerre, les américains ont d’abord été hébergés
avec les britanniques jusqu’à ce que les allemands
construisent d’autres camps et séparent les
prisonniers en fonction de leurs nationalités. Je ne
peux rien dire des autres camps car je n’ai jamais
eu l’occasion de les voir mais j’imagine que la vie
y était la même que dans le camp du milieu.
Il y avait un bassin incendie au milieu des
baraquements. C’était un bassin en briques faisant
environ 30 pieds par 30 pieds (9m par 9m) et d’une
profondeur de 5 pied (1m50) rempli d’eau pouvant
servir en cas d’incendie. Tout le long du périmètre
du camp, le long du fil de fer délimitant la
« verboten zone », les prisonniers pouvaient faire
du jogging, se promener ou discuter sans craindre
d’être espionnés. Le périmètre faisait environ ¾ de
mile (1200m) et il y avait toujours du monde.
Bien que sous contrôle de l’armée de l’air
allemande, le camp était géré comme une base
militaire par des officiers américains. Il y avait
un officier en charge de toutes les tâches qui
devaient être accomplies. Le comité de
renseignements était un comité secret et était connu
sous le terme « Big X ». Les plans d’évasion
devaient tous être approuvés par « Big X » mais peu
étaient approuvés car beaucoup étaient des idées en
l’air qui n’avaient pas fait l’objet de beaucoup de
réflexion. Si un plan d’évasion était considéré
comme suffisamment bon, il recevait toute
l’attention et tout le support du camp dans son
ensemble mais restait coordonné par « Big X ». Après
la grande évasion par les britanniques en Mars,
s’évader n’était plus un jeu et pouvait se traduire
par une balle en pleine tête.
Je me suis souvenu de ma boussole que j’avais réussi
à conserver malgré les fouilles et j’en ai fait part
à Ledgerwood. Il a passé le mot au X committe et ils
m’ont appelé pour m’interroger. Ils voulaient
seulement savoir comment j’avais fait pour la garder
sans être découvert. Ils ont ri à propos du mouchoir
sale mais ont suggéré que c’était une bonne
stratégie puisque ça avait marché.
Les interactions avec les allemands étaient limitées
à quelques hommes qui parlaient couramment allemand
et pouvaient négocier pour passer en contrebande des
appareils photo, de la pellicule ou tout autre
article qui pouvait être utile au X committee.
L’objectif principal du SAO était de maintenir le
moral au niveau le plus élevé possible. La seule
chose qui était exigée est que l’on se rase tous les
jours. Il y avait une inspection tous les samedis
après l’appel.
La YMCA (Young Men's Christian Association = UCJG=
Union Chrétienne de Jeunes Gens) fournissait des
équipements sportifs et on était tous encouragés à
prendre part à des activités sportives. Ils
fournissaient également des instruments de musique
et un orchestre a été formé. C’était très bien et
cela nous aidait moralement. Plusieurs organisations
fournissaient des livres et des magazines, mais les
magazines étaient censurés par les allemands et
n’étaient donc pas d’un grand intérêt. Nous avions
aussi des magazines allemands et des journaux
lorsque les nouvelles étaient bonnes pour les
allemands. Ils diffusaient également régulièrement
les nouvelles allemandes.
Sous les baraquements, il y avait des tranchées
faisant toute la longueur du bâtiment. Ces tranchées
étaient utilisées par des gardes appelés « furets »
et on les distinguait des autres gardes par leurs
uniformes bleus. Ils écoutaient les conversations
qui se tenaient dans les baraquements. Les furets
avaient de longues tiges en acier qu’ils utilisaient
pour vérifier les fissures dans le sol, la
maçonnerie ou le ciment et qui pouvaient trahir la
présence d’un tunnel.
J’étais un nouveau kriegie de bas rang et je ne
pouvais donc pas me qualifier pour une tâche
spécialisée et je n’étais pas au courant de ce qui
se passait dans le camp. Je faisais juste ce qu’on
me disait de faire et c’est ce que faisait la
majorité d’entre nous. La vie dans le camp était
très ennuyeuse et on sautait sur l’occasion dès
qu’on nous proposait de faire quelque chose. Dans
chaque baraquement, il y avait au moins une douzaine
de gars qui passaient une heure par jour à regarder
par la fenêtre de la cuisine et prenaient note du
mouvement des allemands. Lorsqu’on pense que la même
chose se déroulait dans chaque baraquement ainsi que
dans les toilettes et le théâtre, on réalise que
lorsque tous ces rapports étaient transmis au X
committee, ils avaient une idée assez précise de là
où se trouvaient les allemands à chaque instant. Ils
pouvaient prévoir où les gardes et les furets
seraient à chaque instant. Si quelqu’un remarquait un
allemand entrant dans le baraquement, il criait
immédiatement « Tally ho » et c’était transmis aux
kriegies qui travaillaient pour le X committee. C’est
arrivé à un point où les allemands eux-mêmes
criaient « Tally ho » lorsqu’ils passaient la porte.
Quelque part dans le camp, il y avait une radio qui
était conservée en pièces détachées et que l’on
assemblait lorsqu’on pouvait le faire sans risque et
cela permettait d’avoir les nouvelles de la BBC.
Juste avant le dîner, deux fois par semaine,
quelqu’un faisait le tour des baraquements et
passait les nouvelles. Cela se passait au moment des
repas pour ne pas trop attirer l’attention des
furets. C’était généralement assez différents des
nouvelles données par la radio allemande. Nous
avions une carte de l’Europe sur le mur de la
cuisine sur laquelle nous faisions figurer les
lignes de front est et ouest telles que communiquées
par la radio allemande. Elles étaient matérialisées
par une ficelle tenues en places par des épingles.
Après la réception des nouvelles de la BBC, le
commandant du baraquement, plaçait une ficelle de
couleur différente le long des points communiqués
par la BBC. Cette dernière nous paraissait toujours
nettement plus favorable. Un des furets était
intrigué par les trous d’épingle dans la carte et a
compris que nous recevions des nouvelles de
l’extérieur. Cela a eu pour conséquence une fouille.
La totalité des prisonniers du camp central ont été
sortis des baraquements et obligés de se tenir en
formation pendant que les furets fouillaient la
totalité du camp à la recherche de la radio.
Lorsqu’ils ont compté les prisonniers, nous avons
rendu la vie difficile au Hauptman en nous décalant
d’une rangée ou deux. Il a fallu recompter plusieurs
fois et il a fallu l’assistance de nombreux soldats
armés pour nous calmer. Ils n’ont pas pu trouver la
radio mais ils ont trouvé quelques stocks de sucre
et de lait en poudre. Nous avions l’habitude de ces
fouilles puisqu’elles avaient lieu au moins une fois
par semaine.
La journée commençait lorsqu’un des gardes allemands
levait les barres qui bloquaient la porte afin de
pouvoir l’ouvrir. Un coup de sifflet retentissait
aussitôt pour nous réveiller. Au deuxième coup de
sifflet, tout le monde se dirigeait vers la plaine
et nous nous alignions en rangées de 5 hommes en
attendant les officiers allemands. Les allemands
comptaient les rangées de 5 hommes et lorsque
l’appel était terminé, l’officier allemand donnait
son OK au SAO pour rompre les rangs. Deux milles
hommes rompaient les rangs simultanément et
partaient dans toutes les directions pour une
nouvelle journée d’attente.
Les larbins prenaient les “kein-trink-wassers”
(« eau non potable » car les pichets étaient en
plomb) et les emmenaient à la cuisine pour les
remplir avec de l’eau chaude pour le café du matin.
Pour le petit déjeuner, nous avions une tasse de
« nescafé » et du pain noir (à la sciure). Certains
matins, nous avions même un peu de confiture.
Nous avions la chance d’avoir parmi nous quelqu’un
qui adorait faire la cuisine. Ted Snyder était notre
cuistot. Sa famille possédait plusieurs restaurants
à Los Angeles et il était donc le choix idéal. Les
larbins qui épluchaient les pommes de terre,
lavaient la vaisselle, aidaient le cuistot à
maintenir le feu était désignés pour la journée à
tour de rôle par tirage au sort. Le résultat du
tirage au sort était affiché sur le panneau
d’affichage et on était supposé le vérifier tous les
jours mais en réalité ce n’était pas nécessaire.
Tout le monde savait quand était son tour et
personne ne pouvait oublier.
Certains kriegies avaient été enseignants avant la
guerre et d’autres avaient fait du business ou bien
avaient des connaissances sur un sujet ou un autre
et ils étaient disposés à partager leurs
connaissances avec les autres prisonniers. C’est ainsi qu’a été
créée la « Sagan University ». N’importe qui pouvait
s’inscrire et assister aux meetings et aux cours qui
se tenaient généralement dans la bibliothèque.
C’était quelque chose à ne pas rater.
Il y avait également un groupe d’acteurs qui
programmaient, répétaient et jouaient pour tout le
camp. Cela prenait beaucoup de temps et demandait
beaucoup de travail et cela donnait la chance aux kriegies d’acheter des habits et des fournitures
pour le théâtre qui auraient autrement été considérés
comme de la contrebande. La plupart des articles
achetés étaient utilisés par le X committee pour
fabriquer des vêtements en vue d’une éventuelle
évasion. Les kriegies ont découvert que ce n’était
pas trop « verboten » de coudre des vêtements dans
la mesure où c’était pour une pièce de théâtre.
La YMCA et d’autres organisations fournissaient des
livres à l’attention des prisonniers. Les livres les
plus populaires étaient fort demandés et il fallait
s’inscrire sur une liste d’attente pour en avoir un
pour une durée de deux jours.
Nous passions beaucoup de temps à jouer aux cartes.
J’ai même essayé d’apprendre à jouer au bridge mais
je n’ai pas réussi à m’y intéresser. C’est
probablement une bonne chose car la plupart des
joueurs de bridge en arrivaient à se battre. Le
poker était populaire mais on ne pouvait jouer que
si on avait des cigarettes en guise de mise. Pour
les non-fumeurs cela ne posait pas de problème mais
les gars comme moi avaient un choix à faire. En
général le désir de fumer l’emportait.
J’ai pu récupérer du bois et je passais beaucoup de
temps à sculpter. J’utilisais un couteau allemand
qui avait besoin d’être aiguisé régulièrement sur
une pierre à aiguiser qui passait d’un baraquement à
un autre.
Le papier toilette est un article auquel on prête
habituellement peu d’importance mais si vous avez
l’habitude d’en avoir, en disposer est crucial. Les
allemands fournissaient un carré de 4 pouces par 4
pouces par jour (10cm x 10cm) et ce n’était pas
suffisant. La croix rouge a envoyé du papier
toilette américain qui a été rationné par le SAO à
quatre carrés par jour. On a vite appris que le
papier journal lorsqu’il est coupé en carré de 10cm
x 10cm et froissé pour l’assouplir était tout à fait
convenable pour cet usage.
La Croix Rouge nous fournissait également tous les
habits en sus de ceux que nous portions lors de
notre capture. Afin de rester propre, nous devions
emprunter des habits lorsqu’on les lavait. Le
commandant du bloc avait un pantalon, une chemise et
des chaussettes qui pouvaient être utilisés par
quiconque avait besoin de laver son linge. La liste
d’attente était longue.
Le pain noir à la sciure avait meilleur goût
lorsqu’il était grillé mais il fallait se bagarrer
avec la foule pour pouvoir approcher le poêle et le
faire griller sur le métal. Les tranches de pain
étaient ensuite posées sur la table et tout le monde
assistait à l’étalage de la confiture. Un bon
cuistot étalait la confiture suffisamment épais pour
couvrir le pain mais suffisamment finement pour
qu’on puisse encore voir le pain à travers la couche
de confiture. On tirait au sort celui qui prenait la
première tranche et ainsi de suite. Celui qui avait
étalé la confiture prenait généralement la dernière
tranche. C’est ainsi que tout était partagé.
Après le petit déjeuner, nous recevions notre “kein
trink wasser” et nous partions chercher de l’eau
chaude pour faire la vaisselle. Après que les tasses
et les cuillères aient été lavées, nous partagions
la soupe à l’orge qui était distribuées 3 fois par
semaine en milieu de matinée. C’était un bonus et
cela signifiait généralement que le déjeuner serait
limité à des toasts et peut-être de la marmelade et
du thé.
Nous étions supposés recevoir un colis de la croix
rouge chaque semaine pour suppléer les rations
allemandes. Ce fut réduit à une demi-ration lorsque
je suis arrivé. En conséquence, notre cuistot a été
requis de préparer les repas les plus appétissants
possible avec le peu de nourriture disponible et la
meilleure imagination du monde. Ted Snyder
remplissait admirablement cette tâche.
Les colis de nourriture nous étaient envoyés par les
britanniques, les américains et les canadiens. Le
poids total de chaque colis était 10 livres.
Les colis britanniques contenaient du lait condensé,
des raviolis, de la soupe aux légumes, des sardines,
du fromage, de la margarine, quatre biscuits, des
œufs déshydratés, du quaker, du cacao, du thé, des
fruits secs, du sucre, une barre de chocolat et une barre de savon.
Les colis américains contenaient du lait en poudre
(Lkim), des saucisses, du corned beef, du pâté de
foie, du saumon, de la margarine, des biscuits, du
nescafé, de la confiture à l’orange, des pruneaux ou
des raisins, 2 barres de chocolat, 2 barres de savon
et 5 paquets de cigarettes.
Les colis canadiens contenaient du lait en poudre,
des saucisses, du corned beef, du saumon, du
fromage, des crackers, du café en poudre, de la
confiture, des pruneaux, du sucre, une barre de
chocolat et une barre de savon.
Ted était particulièrement doué pour la préparation
des desserts. On réduisait les crackers en poudre
pour en faire une sorte de farine. Il mélangeait
cette farine avec du cacao, de la margarine, du
sucre, de l’eau et un peu de dentifrice canadien. Il
battait vigoureusement avant de la passer au four et
obtenait une bonne imitation d’un gâteau. Le gâteau
était ensuite partagé équitablement et chacun se
servait dans un ordre déterminé par tirage au sort.
Du café était servi avec le gâteau et ensuite nous
avions droit à une cigarette. Le cuistot recevait de
nombreux compliments. Il fallait s’assurer qu’il
reste de bonne humeur.
La période estivale était supportable si vous
parveniez à sortir de votre esprit le fait que vous
étiez prisonnier. Le baseball et le volleyball
meublait une bonne partie de notre temps. Je ne me
souviens pas avoir été importuné par les moustiques
mais les mouches nous piquaient fréquemment. Rester
propre était plus facile pendant l’été même si l’eau
de la douche restait glaciale. Quelques gars ont
essayé de cultiver un potager mais les mains vertes
étaient rares.
Les allemands nous fournissaient des rations de
“briquettes” (une forme compressée de charbon et de
pétrole d'après ce que j'ai cru comprendre) destinées à être utilisées comme
combustible dans le poêle et pour le chauffage. En
hiver, il fallait décider ce qui était prioritaire :
la cuisine ou bien le chauffage.
Je n’avais pas de manteau, donc j’ai cousu ma
chemise d’été sur ma veste A2 et j’ai rempli
l’espace entre les deux avec du papier. C’était
encombrant mais c’était efficace. Nous avons tous
cousu nos deux couvertures allemandes ensemble et
mis quelques couches de papier entre les deux. Pour
protéger nos pieds, nous imbibions nos chaussures de
GI avec de la margarine fondue qui était rance de
toutes manières. Je me protégeais les oreilles du
froid avec de vieilles chaussettes.
Vers la fin juillet, nous avons eu un nouveau SAO.
C’était un général brigadier nommé Vanaman. Je ne
sais pas dans quelles circonstances il a été abattu,
mais toujours est-il qu’il est devenu notre SAO.
D’après la rumeur, il avait été « Air attaché » à
Berlin avant la guerre. C’était probablement vrai
car beaucoup d’officiers de haut rang de l’armée de
l’air allemande venaient lui rendre visite. La vie
pour nous n’a pas beaucoup changé à ceci près que la
discipline militaire a été renforcée.
Le 12 Octobre (Columbus Day), j’ai reçu ma première
lettre des Etats-Unis. C’était une lettre de ma mère
et elle me parlait avec enthousiasme du merveilleux
bébé que j’avais mais aucun indice dans la lettre ne
m’a permis de déterminer si c’était un garçon ou une
fille. Je pensais que le bébé allait naître en
juillet et j’étais vraiment heureux de savoir que
c’était un bébé merveilleux et j’étais impatient de
savoir si c’était un garçon ou une fille. En
novembre, j’ai reçu un télégramme de Lois via la
Suisse me donnant le nom, le sexe et le poids du
bébé. En décembre, j’ai reçu une photo prise lorsque
le bébé avait 6 semaines. Elle semblait furieuse
mais c’était mon bébé et sa photo a fait le tour du
baraquement.
Nous avions le droit d’écrire deux cartes et une
lettre par mois. Les cartes faisaient environ 3,5
pouces par 5 pouces (9cm x 12cm) et les lettres
environ 5 pouces par 12 pouces (12cm x 30cm) et nous
pouvions écrire d’un seul côté c'est-à-dire du côté
avec 12 lignes équidistantes. Tout commentaire trop
pessimiste sur la vie dans le camp était noirci par
la censure. Il était difficile d’écrire une lettre
qui puisse passer à travers la censure.
Le jour où j’ai reçu la lettre de ma mère, nous
avons eu un appel spécial. Chaque kriegie devait se
présenter à l’appel avec son couteau, sa fourchette,
sa cuillère, son bol et sa serviette. Quelques
couteaux manquaient car ils avaient été transformés
en scie et cela a entrainé une fouille et une
journée supplémentaire d’appels successifs.
Je passais beaucoup de temps à observer la
“charrette à miel”, pensant que ce serait un bon
moyen de fuir le camp. Après avoir pompé les
excréments, le gros tuyau de 4 pouces (10cm) était
rangé sur le côté gauche de la charrette et il
partait ensuite directement vers la porte d’entrée
arrière qui était surveillée par un seul garde. Le
garde ouvrait généralement la porte et saluait. Du
côté droit du wagon, il y avait une longue boite à
outils et l’espace entre cette boite à outil et la
citerne était assez large pour qu’un homme s’y
allonge. L’arrivée d’une nouvelle « purge » a attiré
l’attention des gardes et je ne pouvais pas laissé
passer cette chance. J’ai donc sauté sur la
charrette, je me suis caché derrière la boîte à
outil et je me suis glissé sous un tarpaulin. Le
chauffeur est revenu et s’est dirigé vers la porte
d’entrée. Je pensais que ça allait marcher mais un
des gardes m’a vu et il a fait arrêter la
charrette et a collé le bout du canon de son fusil
sur mon visage. Je suis descendu du wagon et j’ai
attendu avec le garde que quatre autres gardes
m’emmènent au trou.
Deux jours passés au trou avec du pain et de l’eau,
pas de banc, pas de chauffage a eu un effet
mémorable sur moi. Je me suis juré que je n’aurai
plus jamais ni froid ni faim. Il me fallait de la
nourriture et un bon endroit pour dormir. J’ai été
encore plus marqué par l’engueulade que j’ai reçue
du Colonel Spivey et de Sam Magee, le chef du bloc.
Ce que j’avais fait était vraiment stupide. Je le
savais bien mais il fallait que je tente ma chance.
Si j’étais parvenu à sortir du camp, je n’ai pas la
moindre idée de ce que j’aurais fait. Etant si loin
à l’intérieur de l’Allemagne et ne connaissant pas
un mot d’allemand, il m’aurait été impossible de
rejoindre les forces alliées.
Des représentants des puissances protectrices,
suisses ou suédois, ont visité le camp début
novembre. Ils étaient les représentants de pays
neutres et étaient censés vérifier régulièrement si
les conditions de détentions étaient conformes à la
convention de Genève. Nous avions été informés à
l’avance et nous avions même reçu de belles
couvertures bien épaisses le matin de leur visite.
Dès que les représentants des puissances protectrices ont quitté les
lieux, les couvertures ont été reprises et emmenées
hors du camp.
Le commandant allemand a émis un ordre disant qu’on
ne stockerait plus de nourriture. On ne pouvait
garder que des rations pour une journée. Si des
excédents de nourriture étaient découverts, ils
seraient confisqués. Cela signifie que nous devions
immédiatement manger tous les stocks de nourriture
que nous avions conservés pour une éventuelle
évasion, pour les mauvais jours ou pour une occasion
spéciale. Ce fut un grand jour pour les cuistots !
On a fait une petite fête pour la naissance de Lynn.
Il y a eu une grande fête dans le bloc et tout le
monde était invité. On a même eu droit à un
spectacle de jazz et pour ceux qui voulait boire, un
peu d’alcool à base de raisin sec fermenté.
Lorsque des boites de conserves entraient dans le
camp, les allemands les perçaient pour nous empêcher
de les stocker en vue de nous en servir pendant une
évasion. Nous avons essayé de boucher les trous avec
de la cire ou de la margarine mais ça ne faisait que
ralentir un peu le processus de décomposition. Les
ordres du Reich stipulaient qu’une boite vide de la
croix rouge avec des boites de conserves vides soit
rendue avant qu’un nouveau colis soit livré.
Le SAO a suggéré que chaque kriegie fasse en sorte
d’être aussi en forme que possible et se prépare à
l’éventualité où on nous sortirait du camp. Il était
difficile de prévoir ce que les allemands allaient
faire. Certains pensaient que nous allions tous être
exécutés si les russes s’approchaient. D’autres
spéculaient qu’ils allaient nous emmener avec eux
comme otages. Nous étions obligés de parcourir le
périmètre du camp au moins cinq fois par jour.
Les volets étaient fermés à la tombée de la nuit et
les portes d’entrée au baraquement étaient barrées.
L’hiver la nuit tombait vers 4h45. Mon lit se
trouvait au troisième étage et loin de la fenêtre.
L’air devenait vite vicié. Le feu du poêle
s’éteignait généralement au bout d’une heure et le
vent glacial s’infiltrait rapidement à travers les
fissures du mur et les fenêtres.
Avant de s’endormir, on se demandait s’il y aurait
un autre raid sur Berlin pendant la nuit. Berlin se
trouvait à environ 90 km au nord de Sagan et on
entendait assez bien les grosses bombes lâchées par
la RAF. Lorsqu’on entendait ou sentait l’explosion
des bombes on essayait de se faire une idée de
l’ensemble de la mission. Si le bombardement avait
lieu au sud de Berlin, cela déclenchait les sirènes
d’alarme du camp et tous les projecteurs étaient
éteints. Le camp s’emplissait immédiatement de
soldats allemands pour contrer toute tentative
d’évasion. Une fois l’alerte passée, la porte
s’ouvrait et quelques allemands filaient à travers
le baraquement pour vérifier que tout était normal.
Lorsque le calme revenait, on pouvait repenser aux
jours heureux passés à la maison. J’essayais
d’imaginer ce que faisait Lois et comment elle se
débrouillait avec le bébé et ses nouvelles
responsabilités. Je pouvais voir son visage
lorsqu’elle riait. Je me promettais que si je
parvenais à la retrouver, je ne la quitterais plus
jamais. J’essayais de m’imaginer la tenant dans mes
bras jusqu’à ce que je m’endorme.
Il faisait très froid pendant l’hiver. Les gardes
qui montaient la garde près des portes du camp
devaient rester dehors toute la journée et plaçaient
de la paille autour de leurs bottes pour éviter un
contact direct avec la neige; leurs bottes
restaient ainsi sèches. Ils avaient aussi de grands
manteaux qui descendaient jusqu’au sol et avec des
cols qui montaient jusqu’au sommet de leurs têtes.
Leurs gants ressemblaient à des gants de boxes.
Quelqu’un s’est arrangé pour obtenir d’un garde une
petite branche de sapin et nous avons ainsi pu avoir
un sapin de noël. On l’a décoré avec du papier étamé
provenant de boîtes de cigarette et nous avons
découpé des étoiles dans du papier. Nous avons fait
la fête pour Noël et nous avons eu du gâteau.
A l’autre extrémité du bloc, il y a eu une fête pour
le nouvel an avec des chansons et de l’alcool de
raisin sec. Nous y avons tous pris part et nous
avons goûté l’alcool dans l’espoir que cela nous
aiderait à oublier le pétrin dans lequel nous nous
trouvions mais ça n’a pas marché.
Le 27 janvier vers 9h30 du soir, on nous a dit de
nous tenir prêt à quitter le camp dans les 30
minutes. Cela paraissait difficile de croire que
nous allions réellement sortir. Nous allions marcher
et ne rien emmener sauf des vêtements. Quiconque qui
tenterait de s’évader serait abattu. Quiconque
tomberait serait abattu.
J’ai rassemblé tous ce que je pensais pouvoir
emporter, je l’ai roulé dans une couverture pour
pouvoir le porter sur mon dos. Nous nous sommes mis à
manger tout ce que nous pouvions. Je crois que tout
le monde avait gardé un mélange de lait en poudre,
de sucre et de pruneau précisément pour ce genre
d’urgence.
Nous nous sommes ensuite allongés sur nos couchettes
en attendant les ordres des allemands. On nous a
rassemblés en dehors des baraquements à deux ou
trois reprises avant que nous sortions effectivement
du camp. On nous a autorisé à nous rendre jusqu’au
bâtiment où était stockés les colis de la croix
rouge et à emmener tous ce que nous pouvions. C’est
incroyable la quantité de colis qui étaient là alors
qu’ils nous avaient donné une demi ration par jour.
Quelques gars ont transformé des bancs en luge.
Finalement, vers 3 heures du matin le 28 janvier,
nous sortions par la porte principale.
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Chapitre 1:
Barksdale Field
Chapitre 2:
Angleterre
Chapitre 3:
Captivité
Chapitre 4:
Sagan
Chapitre 5:
La marche
Chapitre 6:
Moosburg
Chapitre 7:
Libération
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