"Nous avons quitté Thurleigh à 9.45 le 6 mars
1943 pour bombarder Lorient. Nous avons abordé la cible à une altitude de
700 mètres et les tirs de DCA étaient intenses. Le moteur No 3 a été touché.
Je n’ai pas pu tourner les pales de l’hélice et le moteur s’est mis à vibrer
fortement. Nous avons été touchés juste avant de pouvoir larguer nos bombes
sur la cible.
Nous avons tourné à gauche après le passage sur la cible et nous avons volé
50 kilomètres au-dessus de la mer avec le reste de la formation. Le moteur
No 3 vibrait avec une amplitude d’environ 15 cm et l’hélice a été arrachée.
L’hélice a heurté la carlingue et a endommagé le parebrise. Le copilote a
été blessé au visage. Nous ne parvenions plus à suivre le reste de la
formation. J’ai réalisé qu’il serait impossible de rejoindre l’Angleterre.
Nous avons viré à droite et nous avons quitté la formation. Nous avons pris
la direction de la péninsule de Quimper. L’avion a rapidement commencé à
perdre de l’altitude. J’ai dit à mon équipage de ne pas sauter avant qu’on
ait atteint la côte.
Nous avons atteint la côte à 1200 mètres au-dessus de Guilvinec.
J’ai attendu qu’on soit au moins 3 km à l’intérieur des terres avant de
donner l’ordre de sauter. Avant que je donne l’ordre, nous avons été
attaqués à deux reprises par des F.W. L’un deux est arrivé par derrière et
je ne l’ai pas vu. L’autre a été abattu par le Sgt Blakemore. Le chasseur
est tombé dans la mer. Des français l’ont vu et me l’ont raconté.
Nous avons sauté alors que nous volions à une altitude de 1000 mètres et à
une vitesse de 350 km/h. J’ai sauté en dernier. Avant de sauter, je suis
parti dans le nez de l’appareil. Il était vide. J’ai tourné le bouton pour
actionner le pilote automatique. La vitesse est montée à 385km/h. Je n’ai vu
personne dans le compartiment radio. J’ai sauté. Avant de quitter le
cockpit, j’ai détruit le I.F.F. et je crois que l’équipement de visée a été
jeté dans l’océan. J’ai sauté à 14.30.
Lorsque mon parachute s’est ouvert, mon bras a été pris dans la sangle
principale et mon bras a été tiré derrière mon dos au-dessus de ma tête.
Etant donné que j’ai sauté à basse altitude, j’ai atterri rapidement. J’ai
atterris sur mon épaule et je me suis évanoui. (1) J’ai atterri dans une
pâture à environ 3 mètres d’une route et à un kilomètre et demi de St Jean
Trolimon. Il y avait environ 40 français autour de moi lorsque j’ai repris
connaissance. Une femme m’a aidé à me dégager de mon parachute. Je leur ai
demandé où étaient les allemands et on m’a répondu qu’ils étaient en ville.
On m’a tout de suite indiqué dans quelle direction je devais courir. Les
français ont enterré mon parachute.
Je me trouvais dans une petite vallée et j’ai commencé à courir vers
l’ouest. Je suis arrivé à un ruisseau et j’ai marché dans l’eau pendant une
heure avant de m’arrêter pour me reposer. J’ai pris un comprimé de
benzédrine et j’ai rempli ma bouteille d’eau et j’ai continué à marcher
jusqu’à 17.50. Je me suis caché dans un buisson au coin d’un champ. Je suis
resté caché là jusqu’à 21.00. Après avoir mangé du chocolat et des tablettes
de lait au malt et bu la majeure partie de ma bouteille d’eau j’ai marché
environ 300 mètres jusqu’à une ferme et j’ai demandé à manger. J’ai abordé
un homme et un garçon dans une grange et je leur ai dit qui j’étais. Ils
m’ont donné du lait, du pain et du beurre et m’ont dit que les allemands
avaient capturé sept membres de mon équipage et qu’un autre était mort (2). Je
n’ai pas demandé de l’aide car c’était trop près de la zone de recherche.
Avec l’aide de ma boussole, j’ai marché en direction du sud-ouest jusqu’à
minuit trente. Lorsque cela m’a mené en vue de l’océan, j’ai changé de
direction et je suis parti vers le nord. J’ai finalement trouvé un tas de
paille. Mon bras me faisait trop mal pour que je puisse monter dessus. J’ai
donc dormi à la base du tas de paille. Lorsque je me suis réveillé, j’étais
fiévreux.
A 7.00, j’ai traversé la route et je me suis rendu dans une ferme. Il y
avait un français et un garçon de 13 ans dans la maison. Après que je leur
ai parlé, ils m’ont donné du café, du pain et de la soupe. Ils m’ont aussi
donné du gâteau et du pain à emmener. Après m’être assis près de leur feu
pendant une heure, j’ai commencé à marcher vers le nord en longeant les
haies. A midi, je suis tombé sur un champs avec des buissons. Je me suis
fait un lit et je me suis allongé au soleil pour me réchauffer. J’ai mangé
du pain et du chocolat et je me suis endormi. Vers 13.00, un français m’a
réveillé. Je portais encore mon uniforme. Il m’a demandé qui j’étais et lors
je lui ai dit « un parachutiste américain », il s’est montré très amical. Il
a pris son couteau et a coupé mon insigne.
Ensuite, il m’a dit de rester caché là où j’étais jusqu’à ce qu’il revienne
avec de la nourriture. Une heure plus tard, il était de retour avec un ami
et de la nourriture (du vin, un bol de ragout, 5 œufs crus, du pain et du
beurre). Ils sont restés avec moi pendant environ 30 minutes puis ils sont
partis en disant qu’ils reviendraient dans la soirée pour me cacher dans
leur étable. Ils étaient de retour vers 21.00. Nous nous sommes rendus à
leur étable et ils m’ont dit qu’ils pensaient pouvoir me trouver de l’aide.
A trois heures du matin, ils m’ont réveillé et m’ont dit que des amis
étaient avec eux.
Ces amis m’ont apportés des vêtements et des sabots. J’ai donné mes photos
passeport à l’un deux afin qu’il essaye de m’obtenir une carte d’identité.
Après avoir dormi jusqu’à 5.30, le paysan et venu et m’a dit de me cacher
dans le champ pour la journée. A 21.00, l’ami qui devait me faire avoir une
carte d’identité est revenu. Il était découragé car ses efforts avaient été
vains. Il m’a rendu mes photos et après que j’aie mangé, ils m’ont dit
qu’étant donné qu’on avait éveillé des soupçons, il serait préférable que
j’aille plus loin pour chercher de l’aide.
A minuit, j’ai commencé à marcher vers le nord-est. J’ai marché jusqu’au
lendemain midi avant de m’arrêter pour une longue pause. J’avais perdu ma
bouteille dans des buissons épineux. Alors que je fumais assis au coin d’un
champ, deux français ont amené leurs vaches dans le champ et ont pris la
fuite lorsqu’ils m’ont vu. Je me suis éloigné en marchant rapidement. Deux
femmes et un homme sont venus vers moi. Ils ont vérifié mon identité et
m’ont ensuite emmené dans leur maison pour me donner à manger. Tous les
voisins sont venus me voir. Ils ont appelé le médecin mais il n’a pas pu
venir car il n’avait plus d’essence. Je suis resté tout l’après-midi et j’ai
dormi dans l’étable.
Un ami qui est venu a dit qu’il pensait connaitre quelqu’un qui pourrait
m’aider. A 13.00, un ouvrier agricole m’a accompagné pendant 5km jusqu’à un
bois où nous avons rencontré son ami. Il m’a emmené 3 km à l’intérieur de la
forêt et j’ai attendu pendant qu’il partait parler avec la personne qui
pouvait m’aider. Trente minutes plus tard, ils sont revenus vers moi. On a
discuté pendant quelques minutes et le reste du voyage a été planifié.
L’homme qui est venu me voir dans les bois avait été représentant de IBM à
Paris. Il parle bien l’anglais. Il est revenu avec deux jeunes hommes (Noël
Arhan et Emile qui était le fils du maire (de Plomeur). Nous avons parlé.
Les deux jeunes hommes m’ont dit que Arhan allait venir me chercher en
voiture à 9 heures du soir. Ahran est venu en voiture et nous sommes parti à
Loctudy. A Loctudy, nous sommes restés dans un hôtel appartenant à la mère
de Ahran. J’ai rencontré Blakemore dans l’hôtel. Je suis resté là pendant
deux semaines jusqu’au 23. Pendant ce temps-là, un docteur de Pont l’Abbé
est venu me voir 3 fois mais ne pouvait pas faire grand-chose. Ils se sont
arrangés pour nous faire partir à Pont Aveu. Lorsque le chef Mr Alexandre
Thieubaud est revenu, il a envoyé une voiture à Loctudy et nous a emmenés à
Pont-Aveu où nous sommes restés au domicile de Mme Clémence Barbarin. Nous
sommes resté là jusqu’au 5 avril et nous sommes parti avec le chef jusqu’à
une ferme à 6 km de Pont Aveu. De là, nous sommes parti pour Paris. Le mardi
6, nous avons quitté la ferme à 6 heures du soir. J’ai marché 3 km à travers
champs jusqu’à la route principale où attendait la voiture. Nous avons roulé
jusqu’à Rosporden et de là, nous avons pris le train jusqu’à Paris. Les
places avaient réservées en 1ères dans le même compartiment.
A Nantes, nous sommes restés bloqués pendant deux heures par une alerte.
Nous sommes arrivés à Paris mercredi à 9.00 à la station Montparnasse. Nous
avons traversé la rue pour prendre un café. Le chef m’a ensuite emmené à la
maison de Mme Montel. Nous sommes restés là jusqu’à 3 heures de l’après-midi
et une jeune femme est passée me prendre pour m’emmener à l’appartement de
Mme Jacqueline Richet. Elle travaille pour la Croix Rouge et s’occupe des
français détenus en Allemagne. Le lendemain jeudi, un autre agent est venu
me voir et nous nous sommes promenés en ville. Il parle anglais et m’a
montré plusieurs bâtiments intéressants. J’étais habillé en civil. Je suis
resté là pendant une semaine et ensuite nous sommes partis par le train de
la gare Saint-Lazare. Nos papiers n’ont pas été contrôlés. Nous sommes
descendus du train à Pont de l’Arche et nous avons pris un autre train pour
Lyons-la-Forêt. De là, nous avons été à bicyclette à Fleury-la-Forêt. La
nuit suivante nous sommes partis dans un champ à 15 km à l’est et nous avons
décollé pour l’Angleterre à une heure du matin."
(1) A son retour, on s’est aperçu que le bras du capitaine Ryan était
fracturé près de l’épaule.
(2) Il s'agit du copilote le
1st Lieutenant Gerald L Simmons abattu par un sergent allemand alors
qu'il tentait de s'enfuir
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