"Nous avons quitté l’Angleterre le 5 juin et
sauté sur le département de la Manche vers 1h30 du matin le 6 juin. C’est la
seule date dont je me souvienne jusqu’au 11 août lorsque je suis arrivé au
Third Army PW. Entre ces deux dates, ce n’est qu’une succession de jours
sans nom ni date, faits de cauchemars et d’excitation. Le saut en parachute
est quelque chose que je n’aimerais pas revivre. Pendant que je descendais,
je regardais les balles traçantes qui montaient vers nous et je me demandais
quand je serai touché. Alors que je regardais autour de moi, je voyais des
gars dont les parachutes avaient été troués et qui fondaient à toute vitesse
vers le sol. Je voyais aussi des bras, des jambes et des têtes arrachés.
J’ai touché le sol près d’une paire de jambes. Mon unité était éparpillée un
peu partout. J’ai atterri près de St Martin de Vierville à l’est de Ste Mère
L’Eglise. Pendant les jours suivants, nous formions de petites unités qui
partaient harceler les allemands. Les unités étaient dissoutes et reformées
à chaque mission. Vers la fin du mois de juin, trois d’entre nous étions en
patrouille et nous progressions en direction de nos lignes. Nous pensions
que nous les avions atteintes lorsque nous sommes tombés sur une patrouille
de SS qui nous ont capturés. Mes deux compagnons étaient Fry et Anderson.
Nous avons été capturés à Meautis, un peu au sud-ouest de Carentan et nous
avons été emmené au QG du SS Bn.
Nous ne sommes pas restés longtemps au QG et nous avons été emmenés dans une
ferme où nous avons été interrogés par un sergent qui parlait très bien
anglais. Nous avons refusé de parler et nous avons été mis dans une salle
obscure et laissé là sans pain ni eau jusqu’à ce nous frappions à la porte
pour faire savoir que nous étions prêts à parler. Je dois admettre que ce
traitement m’a brisé parce que je voyais bien qu’ils allaient me laisser
mourir là si je ne parlais pas. J’ai frappé à la porte et on m’a ramené voir
l’interrogateur. Tout ce qu’il m’a demandé était le nom de mes différents
chefs d’unité. Fry et Anderson avaient également été brisés. Lorsque j’ai
quitté la ferme, il y avait un autre prisonnier qui avait déjà passé 4 jours
en confinement solitaire sans nourriture ni eau et je suis certain que les
SS allaient le laisser là jusqu’à ce qu’il parle ou qu’il meurt. Depuis
cette ferme, on nous a fait marcher jusqu’à St Sébastien de Raids, à la
sortie de Périers et ensuite on nous a emmené de nuit par camion jusqu’à la
Chapelle sur Vire. Nous sommes restés là seulement une journée et nous
sommes ensuite partis en camion en direction de Laval et nous nous sommes
arrêtés quelque part au nord de la ville. Pendant que nous étions dans le
camp de prisonniers, ils nous donnaient un peu de soupe et du pain. Parfois
ils nous donnaient du lait mais pendant que nous étions en transit, que ce
soit à pied ou en camion, on ne nous donnait pas à manger. Parfois, les
français apprenaient nous nous étions arrêtés pour faire une pause et ils
nous amenaient de la nourriture qu’ils distribuaient aux prisonniers mais
jamais aux allemands. Sans cela nous aurions été affamés. Les convois de
camions se déplaçaient uniquement la nuit. Le jour, ils les cachaient sous
les arbres. Nous n’avions jamais le droit de descendre des camions que ce
soit le jour ou bien la nuit. Lorsqu’on s’est arrêté près de Laval, cela
faisait 48 heures que nous étions dans les camions sans la moindre
nourriture. Arrivés là, on nous a fait descendre et les camions sont partis.
Les français ont vite découvert que nous étions là et nous ont apporté de la
nourriture ce qui n’était pas une mince affaire puisque nous étions 90. Fry
et Anderson étaient encore avec moi. Je pense que nous devions être fin juin
ou début juillet.
Le jour suivant, on nous a fait traverser Laval à pied. Nous étions 90 et il
y avait 7 gardes ; nous nous déplacions tous à pied. Après avoir traversé la
ville, nous avons marché vers l’ouest en direction de Rennes. Nous avons
marché pratiquement toute la journée jusqu’à nous arrivions à un château où
vivaient un comte et une comtesse. Anderson parlait français et le sergent
allemand l’a emmené au château pour lui servir d’interprète. Je les ai
accompagnés. Le sergent voulait de la nourriture. Il s’est avéré qu’un
interprète n’était pas nécessaire car le comte ou la comtesse parlait un peu
allemand. Un jardinier se trouvait dans la pièce et nous a fait signe de le
suivre. Il nous a emmené dans une autre pièce et a dit que le comte et la
comtesse allait faire diversion en parlant avec le sergent. Il a ensuite
amené des cartes et nous a montré où nous étions et le chemin à suivre pour
s’évader. Il nous a demandés d’attendre que nous soyons à bonne distance du
château pour éviter que le comte et la comtesse ne soient suspectés. Nous
avons continué à marcher ce jour-là jusqu’à ce que nous arrivions à une
grange et nous y avons passé la nuit. Juste avant l’aube, Fry, Anderson et
moi-même avons filé et nous nous sommes cachés dans un bois non loin de là
et avons décidé d’attendre que les prisonniers et les gardes reprennent la
route. Lorsque les autres se sont réveillés, les gardes les ont comptés et
ont découvert que 3 prisonniers manquaient à l’appel. Les gardes ont alignés
les prisonniers le long de la route et ont dit qu’ils resteraient debout là
jusqu’à ce que nous réapparaissions. Un des prisonniers avaient dû nous voir
car il a dit aux allemands où nous étions et ils sont venu nous chercher.
Nous avons continué à marcher en direction de Vitré.
Vers la fin de la journée nous avons marqué une pause dans un verger. Les
gardes étaient plus fatigués que nous. Ils avaient essayé de nous faire
porter leurs sacs et leurs mitrailleuses, mais nous ne cessions de les faire
tomber ou de les oublier et les allemands devaient continuellement revenir
en arrière pour les récupérer. Ils ont finalement renoncé à nous les faire
porter. Nous étions à peine arrivé dans le verger que des français sont
venus avec de la nourriture. Anderson a commencé à parler avec l’un d’eux et
il a offert de nous aider à nous évader. Il nous a parlé d’un lac dans les
environs où nous devrions nous rendre. Anderson lui a demandé de faire venir
le plus de monde possible dans le verger afin que nous soyons noyé dans la
foule et que les gardes aient ainsi plus de mal à nous surveiller. Il est
reparti et est rapidement revenu avec près de 200 personnes qui se sont mis
à circuler en tous sens dans le verger et les gardes ne pouvaient plus nous
surveiller efficacement. Fry, Anderson et moi-même n’avons eu aucunes
difficultés à nous éclipser. Nous nous sommes égarés et nous n’avons pas pu
nous rendre au rendez-vous. Nous nous sommes donc arrêtés dans une ferme
pour demander notre direction. Il commençait à se faire tard et nous avons
décidé que nous passerions la nuit dans les bois et que nous chercherions le
lac le lendemain. Le lendemain matin, nous sommes repartis. Tout se passait
bien jusqu’à ce que nous soyons capturés par trois allemands alors que nos
traversions une route. Quelques français étaient avec eux et les aidaient à
charger du charbon dans un camion et une remorque. Etant donné que nous
n’étions pas armés, nous avons décidé de nous montrer très dociles jusqu’à
ce qu’une nouvelle opportunité d’évasion se présente à nous. Nous les avons
aidés à charger le camion. Puis nous avons réalisé que nous risquions par la
suite d’être placés sous une surveillance plus étroite ; comme nous étions à
trois contre trois, nous avons décidé de tenter notre chance. Nous pensions
aussi que les français viendraient à notre aide. Nous avons simultanément
sauté chacun sur un allemand. Dans la bagarre, Fry et Anderson et leurs
allemands respectifs se sont retrouvés hors de ma vue de l’autre côté du
camion. J’ai pu l’emporter sur mon allemand et me saisir de son fusil. Je
n’ai pas réussi à tirer probablement à cause du cran de sureté et je l’ai
frappé à la tête jusqu’à ce qu’il perde connaissance. Je ne sais pas si je
l’ai tué ou simplement assommé. Pendant la bagarre, il m’a blessé à la tête
et à la main droite avec sa baïonnette. Je me suis avancé vers l’autre côté
du camion et là j’ai subitement découvert Fry allongé sur le dos les yeux
clos et un allemand assis sur Anderson et le poignardant dans le dos. J’ai
cru que j’allais devenir fou. J’avais l’impression que le sort s’acharnait
contre moi. Avant de quitter les Etats-Unis, j’avais promis à la mère
d’Anderson que j’allais veiller sur lui et voilà que je me tenais là à
regarder un allemand le poignardant dans le dos. Tout cela m’a traversé
l’esprit en une fraction de seconde et je suis parti en courant. J’ai couru
jusqu’à une maison et je me suis caché dans les gouttières. J’ai entendu
quatre coups de feu venant de la route. Ensuite, une dizaine d’allemands
sont venus dans la maison et l’ont fouillée sans ménagement mais ne m’ont
pas trouvé. J’ai entendu un autre coup de feu et puis ils sont partis. Puis
un français est venu et m’a dit que je devais partir tout de suite. J’ai
suivi ses recommandations et je suis parti en direction de Vitré. Je
saignais et je me sentais misérable et épuisé.
La première pensée rationnelle qui m’est venue à l’esprit est que je devais
trouver quelqu’un pour panser mes plaies, me donner à manger et me trouver
un endroit où je puisse me reposer. J’ai rencontré une fille sur la route
qui a accepté de m’aider. Elle m’a emmené sur la route et lorsque je lui ai
dit que cela pourrait être dangereux de marcher sur la route, elle m’a dit
que tous les français des environs étaient de bons français. Je ne pouvais
pas m’empêcher de craindre de voir des allemands faire irruption derrière
une haie et j’étais sur le point de prendre congé d’elle lorsque nous avons
rencontré un homme sur une bicyclette. La fille lui a demandé s’il
connaissait un endroit où je pourrais être emmené. Il a répondu que oui et
il m’a emmené jusqu’à une maison où on a pansé mes plaies et où on m’a donné
des vêtements civils et caché mon uniforme. On m’a donné à manger et le
monsieur m’a demandé si je voulais qu’il me mette en contact avec le maquis.
J’ai répondu par l’affirmative. Ils m’ont couché et j’ai pu me reposer. Le
jour suivant, un homme est venu et m’a emmené à Vitré. Là un autre homme m’a
emmené à Balazé à environ 5 kilomètres au nord de Vitré. Je suis resté dans
une ferme pendant deux jours. Le monsieur m’a donné un pistolet français et
m’a donné une telle quantité de nourriture que je n’ai pas pu tout manger.
Deux jours plus tard, un autre français est venu et m’a emmené dans un bois
ou j’ai rencontré quatre maquisards. On me les a présentés. Dans le courant
de la journée, d’autres maquisards sont venus. J’ai rencontré 11 maquisards
en tout. Je leur ai demandé si c’était possible de rejoindre l’armée
américaine. Ils m’ont dit que c’était impossible de traverser les lignes
allemandes et que comme la frontière espagnole était fermée, il valait mieux
que je reste avec eux jusqu’à ce l’armée américaine libère la région. J’ai
accepté.
Comme il est d’usage dans le maquis, les membres de la bande venaient tous
de la région où ils opéraient. Ils devaient obtenir de la nourriture et des
informations des paysans et des gens vivant en ville. Ils travaillaient
aussi en étroite collaboration avec la gendarmerie. Ma bande opérait dans la
région de Vitré. Je parlais un peu espagnol et l’un des membres du groupe
également. La communication a donc débuté en espagnol suppléé par la
gestuelle et des croquis, et j’ai progressivement pu acquérir quelques
notions de français ce qui a permis à l’ensemble du groupe de comprendre.
L’âge moyen était 19 ans. Ils ont décidé que je serais l’officier en charge
des opérations. Ils étaient armés d’un courage comme j’en avais rarement vu
mais ils étaient très imprudents. J’ai presque déclenché une révolution
lorsque je leur ai dit qu’ils ne pouvaient pas fumer lorsque nous étions en
opération. Il ne s’est rien passé la première semaine que j’ai passé avec
eux. Ensuite un des scouts d’un village voisin nous a informé qu’un voiture
de police allemande empruntait la même route tous les jours et s’arrêtait
toujours au même endroit. J’ai décidé que nous devions lui tendre une
embuscade. Le jour suivant, nous sommes partis à 8 et nous avons trouvé la
voiture. Il y avait 4 allemands à bord. Nous avons ouvert le feu et nous les
avons tous tués. Nous sommes ensuite partis dans leur voiture qui contenait
en outre des armes. Nous sommes ensuite partis vers la forêt du Pertre et
nous avons bivouaqué près d’un lac. Nous avons dormi dans des couvertures et
nous avons construits des abris pour nous protéger de la pluie. Nous nous
rendions dans des fermes pour nos repas. Dans cette forêt, ils avaient une
radio qui permettait d’envoyer des messages à Londres. J’ai envoyé mon nom
et mon matricule. Nous avons demandé à Londres de nous envoyer des armes et
des munitions. Le jour suivant, quatre autres personnes ont rejoint la
bande. Quelques jours plus tard, 24 fusils Stens et 4 fusils Brens ainsi
qu’une bonne quantité de munitions et de grenades nous ont été parachutés.
Peu après, les routes se sont trouvées encombrées avec des véhicules de
l’armée allemande se dirigeant vers l’est et le sud. Il semblait que l’armée
américaine avait entamé sa poussée et les allemands étaient contraint de se
replier. Les routes étaient saturées. Les allemands circulaient uniquement
la nuit. Pendant le jour, les camions se cachaient sous les arbres.
Lorsqu’ils se déplaçaient les camions étaient espacés de 500 mètres et
roulaient aussi vite qu’ils le pouvaient. La plupart transportaient des
soldats. J’ai divisé la bande en groupe de deux ou trois et je les ai postés
dans des virages. Ensuite, à chaque fois qu’un camion passait, on vidait un
chargeur sur l’arrière du camion. Je leur ai dit de ne pas tirer sur le
chauffeur car le camion s’arrêterait et bloquerait l’arrivée des cibles
suivantes. Cela a marché à merveille plusieurs nuits de suite. A moi tout
seul, j’ai consommé quatre boites de munitions. Ensuite, une nuit, une
berline est arrivé et s’est arrêtée en face de ma position. Je crois que les
allemands nous tendaient un piège pour nous arrêter et mettre un terme à
cette tuerie massive. Il y avait une autre position un peu plus haut sur la
route. Ils m’ont dit par la suite qu’ils n’avaient pas l’intention de tirer
sur la voiture car j’avais donné pour instructions de ne tirer que sur les
véhicules en mouvement. Toutefois lorsqu’un allemand est sorti de la
voiture, ils n’ont pas pu se retenir. Ils ouvert le feu et tué tous les
allemands se trouvant dans la voiture. Deux gros camions avec des châssis en
acier sont tout de suite arrivés. Chaque camion tractait un petit canon et
les hommes à bord des camions étaient armés de fusils mitrailleurs, de
mortier, de grenades. Nous ne faisions pas le poids et nous avons dû partir.
Nous avons battu en retraite à travers bois jusqu’à nos deux voitures et
nous avons découvert que l’une d’elle refusait de démarrer. L’autre voiture
a embarqué autant d’hommes que possible. Les 5 hommes restant et moi-même
nous sommes divisés en trois groupes de deux et nous avons pu rejoindre
notre camp à travers bois. A partir de ce jour-là, il y a eu beaucoup
d’allemands dans la région et nous nous attendions à ce qu’ils découvrent le
camp et l’attaquent. J’ai demandé à la bande de construire une ligne de
défense. Un côté était protégé par le lac. Il y avait une seule route
d’accès. J’ai placé un grand nombre de fusils mitrailleurs sur la route et
j’ai fait miner les bois environnants.
Avant que nous n’ayons eu l’opportunité d’utiliser cette ligne défensive, un
gendarme est venu de Vitré et m’a dit qu’une première colonne de l’armée
américaine avait traversé la ville. Je me suis rendu en ville avec ma bande
pour attaquer les arrières de l’armée allemande mais quand je suis arrivé je
n’ai vu ni américains ni allemands. Je suppose que cela devait se passer au
début du mois d’août. J’avais passé environ un mois dans les bois avec le
maquis. Après avoir constaté l’absence d’autorité américaine dans Vitré,
j’ai décidé que je devais rester jusqu’à ce que quelqu’un se manifeste. J’ai
mis en place un bureau et j’ai géré la ville pendant 8 jours. Pendant cette
période, plusieurs CIC et MII sont venus en ville mais sont repartis
immédiatement. Les civils sont venus vers moi avec leurs problèmes et je les
ai aidés. On m’a donné les noms des collaborateurs et j’ai fait de mon mieux
pour aider les réfugiés. Finalement, un détachement des Civil Affairs est
venu et je leur ai remis la ville. Je leurs ai demandés comment faire pour
retourner vers mon unité. Ils m’ont répondu qu’ils ne savaient pas. Lorsque
j’ai dit à la bande que j’allais partir, ils m’ont supplié de rester et
m’ont mené vers une chambre avec des vêtements neufs et des chaussures ainsi
qu’une carte d’identité disant que j’étais né et que j’avais grandi à Vitré
et que je possédais une propriété. J’étais très touché mais je devais dire
non." |