"J’étais
mitrailleur à bord d’un Marauder et notre cible était un pont ferroviaire à
la confluence de l’Oise et de la Seine.
La flak était intense et précise lors du
largage des bombes. Il y avait trop de fumée au-dessus de la cible pour
pouvoir constater le résultat des bombardements et nous étions en train de
faire demi-tour à une altitude d’environ 12000 pieds (3600m) lorsque l’avion
a été touché à quatre reprise par la flak.
Un tir de 88mm à l’arrière de l’appareil a
endommagé les mitrailleuses arrières et légèrement blessé le mitrailleur
arrière. Une explosion entre le mitrailleur arrière et moi-même et une
troisième explosion près de la soute aux bombes ont fait de gros trous et a
mis le feu au moteur. L’obus qui a explosé près de moi a soufflé la partie
droite de mon pantalon et engourdi ma jambe. Il y avait deux gros trous de 1
pied (30cm) de diamètre de part et d’autre de l’endroit où je me trouvais.
Le mitrailleur arrière m’a appelé pour me
dire qu’il était blessé mais je lui ai dit que son visage avait seulement
été légèrement coupé par des éclats de verre. Par contre, ses mitrailleuses
étaient hors d’usage et il s’est avancé vers l’avant près à sauter.
Toutefois, le pilote nous a informés que
l’avion était sous contrôle et que nous devions restés assis. J’ai tiré la
mitrailleuse vers l’intérieur car le système de largage était enraillé.
L’ingénieur a ensuite déclaré dans l’intercom que le moteur était en feu et
je pouvais voir les flammes par la soute aux bombes.
Lorsque j’ai entendu ce rapport, j’ai dit à
l’ingénieur d’enfiler son parachute et de me passer le mien. L’avion a
brutalement décroché mais le pilote a repris le contrôle vers 8500 pieds
(2500m). Il devait toutefois avoir vu le feu lui-même puisqu’il donna
l’ordre d’abandonner l’avion.
Le mitrailleur arrière a sauté le premier.
Comme j’étais le seul sur intercom, j’ai informé le pilote que nous étions
tous près à sauter et je lui ai souhaité « bonne chance ».
J’ai sauté et j’étais immédiatement suivi
par l’ingénieur. J’ai attendu avant d’ouvrir mon parachute et j’ai atterri
dans une clairière. Mon ingénieur a atterri non loin de là.
Nous avons ramassé nos parachutes et nous
avons marché jusqu’à la lisière des bois où nous avons été abordés par 5 ou
6 français qui nous ont aidé à cacher nos équipements sous des feuilles.
Un homme nous a emmenés à travers bois
pendant environ 15 minutes et nous a conduis à sa maison pendant que les
autres faisaient le gué.
Là, on nous a donné à manger et on nous a
donné une carte, une boussole et des habits civils que nous avons enfilés
au-dessus de nos uniformes avec nos revolvers à la ceinture. Nous sommes
restés là jusqu’à environ 18.00. Pendant ce temps-là, l’ennemi nous
cherchait et a fouillé quelques maisons dans le voisinage.
Dans la soirée, nous sommes partis avec
l’intention de contourner Paris par l’est et ensuite prendre la direction de
l’Espagne. A la nuit tombée, nous sommes arrivés à la périphérie de Pontoise
et j’ai abordé un français pour lui demander des renseignements sur le
couvre-feu et les mouvements de troupes pendant la nuit.
Il nous a emmené à sa maison et après nous
avoir donné quelques informations nous a dit que nous avions peu de chance
d’atteindre l’Espagne et qu’il valait mieux se diriger vers Caen. Nous
sommes donc repartis, cette fois en direction de l’ouest et après avoir
maintes fois trébuché dans l’obscurité, nous avons dormi dans un bois à
l’ouest de Pontoise.
Le matin suivant, nous avons décidé que nous
marcherions le jour sur les routes secondaires plutôt que la nuit. Vers
midi, j’ai approché un paysan qui nous a conduis à sa maison et nous a donné
à manger. Il nous a dit que notre avion était tombé non loin de là et après
l’avoir identifié moi-même, il a dit que 3 membres d’équipage avaient pu
s’échapper et que l’un deux était blessé à la jambe. Nous n’avons pas pu
avoir d’autres informations sur eux. Nous sommes repartis dans l’après-midi
et nous avons dormi dans un champ au nord de Mantes.
Nous sommes repartis le matin suivant et
nous avons atteint St Martin La Garenne. Nous avons progressé vers le nord
le long de la rivière jusqu’à Vetheuil à la recherche d’un endroit pour
traverser. Comme il y avait beaucoup d’allemands, nous sommes revenus sur nos
pas jusqu’à une ferme près de Sandrancourt. Le paysan nous a indiqué une
maison dans le village et nous a parlé d’une femme qui pouvait nous faire
traverser en barque. Ce qu’elle fit.
Nous avons continué à marcher et nous sommes
arrivés dans la soirée à Croisy. Là nous nous sommes rendus dans un café et
après avoir pris du cidre, nous avons abordé le propriétaire. Il nous a
donné de la nourriture et nous sommes restés là pour la nuit.
Le matin suivant, il nous a dit de prendre
la direction de Conches et après avoir marché toute la journée, nous sommes
arrivés à Conches. Nous avons dormi dans une ferme au nord de Conches et on
nous a dit de contacter quelqu’un à Beau Mesnil.
Nous avons poursuivi notre route le jour
suivant et nous sommes arrivés la nuit tombée à une ferme près de Beau
Mesnil où nous nous sommes reposés jusqu’au lendemain midi. De là notre
voyage a été organisé jusqu’à notre capture à 1km à l’est de Troarn le 23
juin.
Ce jour-là, nous avions été guidé jusqu’à
environ 5 ou 6 miles de la ligne de front et on nous a laissé terminer la
route tout seul. Alors qu’on se trouvait à environ 1000 yards (900 mètres)
des lignes alliées, nous sommes tombés sur un convoi de munition ennemi qui
était camouflé sur la route. Nous n'avions d’autre choix que de faire face.
Nous avions croisé sans problème 250 soldats
lorsque qu’un caporal nous a appelés ; mais comme nos papiers indiquaient
que nous étions sourds et muets, nous n’y avons pas prêté attention.
Lorsqu’il nous a appelés pour la troisième fois, j’ai nonchalamment tourné
la tête et fait en sorte que mon attention soit attirée par ses mouvements
de la main.
Il nous a demandé nos papiers et comme je
n’avais pas de photo, ma carte d’identité portait une des photos de mon
ingénieur. Le caporal n’était pas satisfait et on nous a donc emmenés voir
un officier.
Il ne semblait pas particulièrement
intéressé par notre cas et ne semblait pas comprendre pourquoi le caporal
nous avait amenés. Il a toutefois donné l’ordre qu’on nous fouille avant de
nous laisser partir.
Juste avant que la fouille ne commence, j’ai
remarqué qu’un officier s’était emparé de son revolver. Comme il n’avait
rien de concret contre nous jusque-là, j’ai réussi à avertir Hartman qu’ils
allaient probablement nous tester pour vérifier que nous étions réellement
sourds et muets. Cette hypothèse s’est révélée correcte. L’officier a tiré
un coup de revolver juste derrière nous. Toutefois, nous n’avons pas
sursauté et les autres gardes se sont moqués de lui.
Un des gardes a fouillé la poche droite de
mon manteau et a raté la carte mais lorsqu’il a fouillé la poche gauche de
mon manteau, je savais que les jeux était faits et il a sorti mon pistolet
qui par coïncidence était allemand. Les gardes nous ont immédiatement mis en
joue et j’ai cru qu'il en était fini de nous.
L’officier nous a accusés d’être des espions
mais j’ai ouvert ma chemise et je lui ai montré mon uniforme et j’ai sorti
les plaques d’identification de ma poche.
Il parlait un peu anglais et m’a demandé ce
que nous espérions trouver derrière les lignes. Je lui ai répondu que la
seule chose qui nous intéressait était de traverser la ligne de front. Cela
a quelque peu apaisé la tension et je lui faisais comprendre que je
n’accordais aucune importance à son histoire d’espion. J’ai présenté la
chose en plaisantant jusqu’à ce qu’il soit convaincu.
Lorsqu’ils ont découvert mon revolver, ils
ont simultanément découvert celui de Hartman. Ce contretemps a interrompu la
fouille jusqu’à ce qu’ils finissent de parlementer.
On nous a alors demandé de vider
complètement nos poches et nous avons obéi.
Un officier a admiré mon couteau et je lui
ai dit de le garder. Il paraissait très conciliant et m’a demandé de lui
laisser également prendre l’étui. Je pensais que c’était une bonne idée
d’avoir au moins un ami et il m’a promi que rien d’autre ne serait pris de
mes effets.
Nous avons été emmenés à un QG d’artillerie
où nous avons été interrogés. On nous a demandé sur quel genre d’avion nous
volions, quand et où nous avions été abattus et le nombre de membres
d’équipage. Ce à quoi nous avons répondus par nos noms, grades et numéros de
matricule. Il semblait davantage déçu qu’irrité par notre attitude et a
rapidement abandonné. Il était major dans l’artillerie.
Vers 22.00, on nous a emmené vers Bozule au
QG d’une division et vers minuit, alors que nous étions en route, nous nous
sommes arrêtés à un QG de la Luftwaffe (armée de l’air allemande) et on nous
a enfermés dans un fumoir (Ndlr: endroit pour fumer la viande) pendant que les
allemands décidaient si nous étions des prisonniers de l’artillerie ou de
l’armée de l’air.
Durant la fouille, j’avais délibérément omis
de remettre une carte et quelques papiers qui auraient compromis des amis et
que je portais dans la poche gauche de ma tenue d’aviateur.
J’avais froissé cette carte en une boule de
papier et j’avais profité de l’obscurité régnant dans la jeep allemande pour
la placer dans la poche de ma veste civile. Je passais la boulette à Hartman
afin qu’il la cache dans la grotte pendant que je montais la garde.
Il avait à peine fini de la cacher que
j’allumais deux cigarettes, une pour chacun d’entre nous. La flamme de
l’allumette a attiré l’attention d’un des officiers qui se trouvaient à
l’extérieur. La porte s’est ouverte brutalement et on nous a donné l’ordre
de sortir. Ils pensaient que nous voulions détruire des documents mais les
cigarettes les ont convaincus qu’il n’en était rien. Nous avons toutefois
été fouillés en détails mais ils n’ont pas fouillé le bâtiment et peu après
nous reprenions la route.
Vers 1.00 environ, nous sommes arrivés à
Dozule et on nous a mis dans une grange jusque vers 10.00 et on nous a de
nouveau interrogés.
Notre interrogateur était un lieutenant des
services de renseignements attaché à la division et nous avons été
interrogés séparément. Il était très courtois et apparemment impressionné
par mon salut et mon attitude et m’a invité à m’assoir. Il remplissait un
formulaire avec mes détails personnels ; nom, grade, numéro de matricule
qu’il avait trouvé sur mes plaques d’identification. Il s’exprimait sur un
ton conversationnel et il m’a lu mes détails personnels et m’a demandé s’ils
étaient corrects. J’ai répondu qu’ils étaient corrects et il a dit « Merci
». Il a ensuite hésité un peu et sur un ton désintéressé m’a demandé quel
âge j’avais. J’ai répondu que je ne pouvais pas lui donner plus de détails.
Il a dit « C’est OK, je me demandais seulement ; ça n’a rien à voir avec le
rapport ». Il a poursuivi : « Naturellement, vous aimeriez faire savoir à
votre plus proche parent que vous êtes sain et sauf ; qui devons-nous
avertir ? ». Je lui ai répondu : « La Croix Rouge ». Il dit : « Oui je sais.
Mais ça prend beaucoup de temps. Nous pouvons avertir vos proches par
radio ». Je n’ai rien répondu.
Il ne m’a pas posé d’autres questions et
mettant de côté mes effets personnels, il m’a remis un reçu pour les 30
livres sterling que j’avais en ma possession. Il a fermé son dossier, m’a
offert une cigarette et m’a dit : «J’allais vous demander depuis combien de
temps vous étiez en Angleterre, mais bien sûr je ne peux pas m’attendre à ce
que vous répondiez. Je me posais simplement la question car j’y ai travaillé
moi-même. ». Il m’a ensuite raconté comment il avait travaillé dans une
bijouterie à Sheffield et il a fait de son mieux pour m’entrainer dans une
conversation générale. Il n’a pas réussi.
Dans la soirée, j’ai été emmené en camion à
Bonnebosq avec un S/Sgt qui avait été un officier de liaison pour les
bombardements et avec un para britannique. Ce dernier avait environ 20 ans,
cheveux blonds et frisés, 5’9’’ (1m75) et environ 11 stones (70kg). Il avait
été parachuté sur une rive de la Dive et son radio sur la rive opposée et il
s’était donc retrouvé dans l’impossibilité de communiquer par radio.
Le para venait de la 6th airborne Division
et était âgé de 21 ans, 6 pieds (1m83), pesait 12 stones (76kg), cheveux
bruns clairs. A Bonnebosq, on nous a placés dans une prison temporaire avec
une trentaine de prisonniers.
Je suis resté là jusqu’au 3 juillet et je me
suis échappé vers 14.00. Détails ci-dessous.
Comme je parlais un peu allemand, les
gardes qui étaient pour la plupart plutôt du genre stupide, avaient de plus
en plus confiance en moi jusqu’au point qu’on me laissait sortir sous
escorte.
Pendant que j’étais dans ce camp, Sgt Major
Edwards, 3rd commando, 1st Bde S.S. est arrivé et comme nous étions les plus
vieux, nous avons discutés avec les autres des possibilités d’évasion.
L’opinion générale était que nous devions
nous évader mais comme nous ne parvenions pas à nous mettre d’accord sur la
stratégie, S.M. Edwards et moi-même avons décidé de prendre les choses en
charge.
J’ai réussi à persuader le garde de choisir
Edwards et moi-même pour aller chercher de la paille dans une ferme voisine.
J’avais préalablement descellé les barreaux de notre fenêtre dans
l’intention de nous évader cette nuit-là mais ça avait été découvert sans
toutefois éveiller de soupçons.
Lorsque nous sommes arrivés à la ferme, le
garde a suggéré que nous restions là pour déjeuner puisqu’il ne devait
reprendre le service qu’à 15.00. Nous avons tout de suite accepté et lorsque
le repas était fini, il était environ 14.00, j’ai suggéré que nous devrions
retourner au camp. Il n’était pas vraiment d’accord mais Edwards et moi
avions décidé que nous lui sauterions dessus alors qu’il franchirait le pas
de la porte et que nous le désarmerions.
C’est ce que nous avons fait. Nous avons
demandé au paysan de dire que nous n’étions pas loin à quiconque viendrait
demander où nous étions. Nous avons commencé à marcher vers un bois non loin
de là.
Malheureusement, nous n’avions pas de
boussole et comme le temps était nuageux, nous ne pouvions pas nous
orienter. A 18.00 nous nous sommes retrouvés à notre point de départ. Nous
avions tourné en rond.
Lorsque nous avons réalisé que nous étions
si près du camp, nous avons décidé de nous cacher pour la nuit étant donné
que l’alarme avait sans doute été donnée depuis le temps.
Edwards a caché l’allemand dans un talus et
je suis parti dans une ferme à la périphérie de Bornebosq et j’ai demandé le
gite et le couvert. Ces gens ont immédiatement accepté de nous cacher et de
nous donner de la nourriture, des habits, cartes et boussoles.
Ils nous ont envoyés une fille qui savait
parler anglais et nous avons compris que nous devions nous débarrasser de
notre ex-garde.
Il était assis à la table, la tête posée sur
ses bras. Edwards lui a asséné un violent coup de crosse sur le crâne.
L’allemand n’a pas été assommé et a au contraire bondi et sauté sur Edwards.
Après une brève bagarre, l’allemand a dit qu’il avait besoin d’aller aux
toilettes. Il cherchait probablement à gagner du temps.
On l’a emmené dans un buisson et la lutte a repris. Nous l’avons tué avec
une baïonnette. Nous l’avons enterré mais nous avons dû nous cacher dans une
grange car des allemands nous cherchaient. Heureusement, ils ne nous ont pas
découverts et nous sommes restés à cet endroit jusqu’au 5.
Le soir du 5 juillet, nous sommes arrivés à
St Pierre des Ifs en compagnie d’un sympathique réfugié et nous avons passé
la nuit dans une grange. De là notre transit a été arrangé."
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