"A la nuit tombée, j’ai trouvé une grange près
d’une allée et j’ai rampé jusqu’à une haie. J’ai vu deux filles remonter
l’allée jusqu’à une maison et je suis monté sur la barrière afin qu’elles me
voient. Lorsqu’elles ont retrouvé leurs parents, ils se sont tous retournés
et m’ont vu. Il y avait beaucoup d’excitation et le père répétait simplement
« non, non, non » mais les filles m’ont caché dans le dalot par lequel la
rivière de la ferme passait sous la route. La grande sœur m’a demandé mes
papiers et j’ai montré mes plaques d’identification. La petite sœur m’a
amené un grand “Mother Hubbard” pour couvrir mon uniforme et on m’a emmené
jusqu’à la maison (ndlr : “Mother Hubbard” est un personnage de comptine
revêtue d’un vêtement féminin recouvrant tous le corps).
On m’a emmené dans l’une des chambres et on m’a donné à manger. On m’a donné
des vêtements civils pendant que leur père beuglait comme un aigle. Vers
minuit, j’ai entendu 3 tirs de 45. Pensant que ce pouvait être un signal de
l’un de mes membres d’équipage, j’ai essayé de tirer à mon tour, mais ils
ont bloqué la porte et m’ont ceinturé. Ils m’ont assuré que les allemands
avaient capturé des membres de mon équipage et qu’ils attendaient dans le
champ à côté pour voir ce qui résulterait de ces tirs.
Lorsque je me suis réveillé le matin suivant, la pièce était pleine de gens
curieux. Après avoir examiné tous mes effets, l’un d’eux déclara « Pas
allemand » et ils sont tous devenu très amicaux.
C’était une famille pauvre mais ils m’ont donné à manger tous ce qu’ils
pouvaient. Après mon premier jour, les allemands passaient régulièrement
pour prendre du cidre et la relation avec les allemands semblait très
familière. J’ai questionné les filles et elles m’ont dit que les soldats
étaient tous autrichiens de la 375 Regt Batteries A, B et L. Elles m’ont dit
que les 2000 soldats dans la région étaient polonais, autrichiens et
tchèques et que seul les officiers étaient réellement allemands.
Ils n’ont pas essayé de me cacher aux voisins mais on m’a dit de me faire
passer pour un allemand. Personne n’était dupe. Alors que je dormais allongé
sur la pelouse le 26 juin, je me suis réveillé et j’ai vu Gisèle et des
soldats armés. Je me suis retourné et j’ai fait semblant de dormir pendant
qu’elle expliquait que j’étais un ouvrier agricole.
Le 27 juin, je me trouvais dans le verger lorsqu’un homme m’a subitement
approché avec un dictionnaire et m’a demandé si j’étais américain. Lorsque
j’ai répondu par l’affirmative, il a dit que l’un de mes membres d’équipage
était chez lui et il m’a décrit le Private Hudson. Il m’a dit qu’on allait
m’emmener dans une maison à Blonville sur Terre. La famille avait épié notre
conversation depuis la maison et a décidé de me cacher de peur que ce ne soit
un collaborateur. A la nuit tombée, ils se sont rassurés et j’ai dormi dans
la maison.
Deux hommes sont venus le jour suivant pour m’emmener à Caen (Calvados).
Pendant qu’ils étaient là, l’homme au dictionnaire est arrivé, m’a déclaré
qu’il représentait la résistance et qu’il m’emmenait à Blonville. Comme il
était plus âgé, j’ai fait l’erreur de penser qu’il savait de quoi il parlait
et j’ai décidé de le suivre.
Je suis partie dans une carriole tirée par un cheval. L’un des hommes, le
facteur local, était communiste. Ils m’ont emmené à la maison de la postière
de Blainville sur Terre. Là j’ai rencontré John Mathews, un para britannique
blessé qui avait sauté au-dessus de Dolay. Hudson est arrivé le jour
suivant. Nous sommes restés là une semaine. Il y avait trop de visiteurs qui
se prétendaient comme lieutenants, capitaines et généraux dans la
résistance. Même des collaborateurs, qui pensaient qu’il était judicieux
d’être amical, sont venus. Parmi ceux-là, il y avait un boulanger qui
servait les allemands et nous a fait du pain blanc et un homme a prétendu
avoir la plus grande ferme du Calvados. Il vendait aux allemands mais pas
aux français, particulièrement pendant les deux premiers hivers. Il était
ami avec le commandant et avait une voiture et de l’essence. Lorsqu’elle
nous a découvert, une femme jalouse de son mari a laissé entendre qu’elle nous
dénoncerait.
Un dimanche, un homme nous a emmené voir une maison bombardée. Lorsqu’il a
vu des allemands voler ses pommes de terre, il les a poursuivi bien que nous
étions dans sa voiture et nous avons assisté à une scène stressante.
Le 5 juillet, nous avons été rejoints par
James Palfrey, un autre para
britannique et nous nous sommes rendus à 500 yards (450m) de la ferme du
chef local de la résistance Pierre Fettes. Nous avons passé 10 jours dans
son loft car il y avait 200 allemands qui campaient dans un taillis non loin
de là. Nous nous sommes ensuite rendus à la maison de Jean Bradet, le
lieutenant du chef à St Pierre. Nous sommes restés là jusqu’au 22 aout.
Geoffrey Luggar et
Raymond Peters (para britannique) nous ont rejoints. Le 16
aout, nous avons entendu dire qu’il y avait 800 torpilles à Nillers and que
plusieurs centaines allaient être lancées depuis un château ce soir-là. La
radio ne fonctionnait pas correctement et donc quelqu’un a été envoyé à
Falaise pour prévenir les alliés. On n’a plus jamais eu de ses nouvelles.
Le 22 août, M Badet est parti à Branville et a parlé de nous à un colonel de
la Devonshire Airborne Regiment. Le colonel m’a confié un camion pour que je
rassemble les évadés de la région, 13 au total, et après une nuit à Dogale,
nous sommes partis à Bayeux." |